Entretien avec Gabrielle Gauthey, directrice des relations institutionnelles d’Alcatel-Lucent

Mercredi, 14 Avril 2010 07:35 Claire
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1/ Plusieurs modèles s’opposent entre le rôle à faire jouer aux différents acteurs (opérateurs, Etat, collectivités locales) pour le financement du déploiement du réseau THD. Quel est votre avis sur le modèle à mettre en place, notamment pour les zones peu denses ?

Le déploiement des réseaux à très haut débit est un élément clé du développement économique des Etats et des territoires. Il est notable de voir que de nombreux gouvernements dans le monde (Australie, Nouvelle–Zélande, Grèce, Mexique, Inde ...) ont décidé de jouer un rôle actif dans leur déploiement, consacrant le bien fondé d’une intervention publique en complément du privé. Cette décision est motivée tout autant par le montant des investissements en jeu que par la nécessité d’inciter au coinvestissement et au partage d’une infrastructure pouvant être considérée comme essentielle. Dans sa recommandation sur les aides d’Etat publiée en juin 2009 la Commission Européenne a fixé le cadre de la bonne articulation entre fonds publics et concurrence en Europe.
La France a depuis 10 ans développé un savoir faire en matière de réseaux d’initiative publique mutualisables construits en partenariat avec le privé et mis a disposition de l’ensemble des opérateurs. Cette expérience qui est très étudiée et reconnue à l’étranger devrait permettre à notre pays d’aborder cette nouvelle phase d’investissement notamment pour couvrir les zones les moins denses en veillant à ne pas recourir à des procédures trop complexes qui ralentiraient les projets les plus mûrs.

2/ Les préoccupations autour du financement des infrastructures ne sont-elles pas en train d’occulter la question centrale du développement des services et des usages, qui conditionne in fine le déploiement ? On parle de deux modèles concurrentiels : la concurrence par les infrastructures et la concurrence par les services…quel est votre avis sur la question ?

Nul ne peut contester que ce sont les services et les usages qui sont la finalité du déploiement des réseaux. Mais les uns en général ne vont pas sans les autres et la concurrence par les infrastructures est complémentaire de celle par les services.
Force est de constater, que les choix de régulation ont conduit à des situations diverses selon les pays: aux Etats-Unis la concurrence par les infrastructures met en présence câblo-opérateurs et opérateurs de télécommunications; en Australie, un seul réseau actif (NBN) va être utilisé par de multiples fournisseurs de services.
Pour sa part, l’Europe combine les deux modèles avec une préférence pour la concurrence par les infrastructures actives, surtout en zones denses, et un partage des infrastructures passives éminemment mutualisables car non discriminantes. C’est ce qui a prévalu en France dans la phase de déploiement du haut débit et il convient là encore de poursuivre dans cette voie pour le très haut débit.

3/ Le débat sur la neutralité du Net s’intensifie. Comment analysez-vous la prégnance actuelle de ce débat ? Ce principe fondateur est-il encore tenable ? Y-a-t-il des équilibres à trouver ?
 
Le terme « neutralité » recouvre plusieurs dimensions. La première est « sociétale ». Qui peut être contre l’accès de tout internaute à une pluralité des contenus “licites” et ceci sur le terminal de son choix ? 
La seconde est tout simplement physique et technique : nous sommes à l’aube d’une croissance vertigineuse des débits de l’internet notamment dans le mobile : le trafic Internet sera multiplié par 5 d’ici à 2013 et 90% de ce trafic sera de la vidéo. Malgré tous les investissements nécessaires pour augmenter la capacité des réseaux, ce ne sont que des ressources partagées et il est indispensable de gérer au mieux ces flux, en les différenciant grâce à des techniques appropriées afin d’offrir la meilleure qualité de service à l’utilisateur final. Il convient de le faire dans des conditions adéquates de transparence et d’équité.
Enfin, la troisième dimension est économique : il nous faut revenir à une certaine « vérité des coûts ». Les investissements à faire dans les réseaux de nouvelle génération sont considérables. Il est normal que les capacités de gestion les plus innovantes des réseaux garantissant aux contenus qualité de service et sécurité leur soient certes offertes de manière transparente et non discriminatoire mais aussi économiquement équitable.

4/ Sur ces deux points, la France ne semble pas être particulièrement en avance… Ce retard constitue-t-il un gros handicap. Comment le rattraper ?

Il est vrai que les déploiements de fibre en Europe sont globalement en retard par rapport aux USA et à l’Asie. Néanmoins, la France est reconnue à l’étranger comme l’un des marchés les plus innovants, dynamiques et concurrentiels dans le domaine du haut débit. Ce résultat est le fruit d’une politique publique volontariste doublée d’une approche réglementaire favorisant l’accès des nouveaux entrants aux infrastructures essentielles du réseau. L’arrivée de la fibre dans les réseaux d’accès appelait la définition de nouvelles règles. Notre pays s’est doté, avec de la Loi de Modernisation de l’Economie et les récentes décisions de l’Arcep sur le très haut débit, de cadres législatif et réglementaire parmi les plus avancés au monde. Tout semble désormais en place pour aborder sereinement ce nouveau cycle d’investissement.

Mise à jour le Mercredi, 14 Avril 2010 07:43