Hadopi (toujours) en débat

Lundi, 13 Décembre 2010 08:39
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C’est peu dire que le dispositif Hadopi est entouré de scepticisme… Adopté il y a plus d’un an, la loi Hadopi provoque toujours des débats passionnés. Le dîner du Club Parlementaire du Numérique qui accueillait la présidente de la Haute Autorité ainsi que son secrétaire général l’a confirmé.

Pour la première fois, Marie-Françoise Marais, présidente de la Haute autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur internet (Hadopi) s’est exprimée face à des parlementaires et à des spécialistes du numérique. L’occasion pour elle de tirer un premier bilan de l’action de cette nouvelle institution. A l’origine de la création de l’Hadopi, se trouvent la volonté de lutter contre le téléchargement illégal et le souci de préserver les droits d’auteurs. Introduisant le débat, Jean Dionis du Séjour (NC, Lot-et-Garonne) a rappelé les principaux griefs faits à la loi au moment de son adoption : « contestation des adresses IP relevées, coût des structures à mettre en place, caractère privé de la société de surveillance, sécurisation des postes par les internautes ».

Les problématiques exposées, les acteurs de l’Hadopi pouvaient répondre point par point aux détracteurs. Marie-Françoise Marais, une ancienne magistrate, spécialiste des droits d’auteurs, avoue que prendre la tête d’une telle autorité était un véritable défi. Elle a vu dans ce poste une occasion de pratiquer un droit plus « dynamique ». Mais présider une nouvelle institution promet des débuts difficiles notamment parce-que la prise des décrets d’application n’a été que progressive. Encore aujourd’hui deux décrets sont attendus :le premier sur la labellisation des moyens de sécurisation et le second – hautement sensible- sur « l’éventuelle transmission des dossiers au juge pénal ». De fait, la prudence est de mise et la transmission au juge de dossiers de fraudeurs n’est pas encore d’actualité. La présidente de l’Hadopi semble trop consciente du terrain glissant sur lequel se trouve son institution… 

Eviter les sanctions et mettre l’action de l’Hadopi sous le signe de « la pé-da-go-gie » sont résolument les objectifs de la commission de protection des droits de la Haute Autorité. « C’était d’ailleurs, rappelle Marie-Françoise Marais, la logique de la réponse graduée  dont la finalité est d’amener les utilisateurs à une prise de conscience et à un usage responsable d’Internet ». Dans un souci d’éviter de faire de l’Hadopi un instrument répressif, sa présidente préfère des objectifs plus volontaristes comme le développement d’un accès facile à l’offre légale. Pour cela un processus de labellisation de l’offre légale a été mis en place par l’Hadopi. Ce label est octroyé après « une déclaration sur l’honneur » et une procédure stricte. Ensuite, figurera sur le « portail de référencement » les offres labellisées. L’objectif, à terme, est de faire de ce portail un passage incontournable de l’offre légale.

Le débat s’est ensuite porté sur les moyens de sécurisation par l’utilisateur de son accès à Internet, sources de crispations pour de nombreuses personnes. En effet, l’abonné est responsable des activités se déroulant sur son ordinateur. Mais par le Wifi ou d’autres moyens, des pirates peuvent réussir à utiliser le réseau d’un « honnête internaute » pour télécharger illégalement… D’où la question de la fiabilité des logiciels de sécurisation d’un accès à Internet. La présidente d’Hadopi tente de dédramatiser, tandis que le secrétaire général de la haute autorité, Eric Walter, homme clé dans le dispositif, se montre exhaustif: « pour sécuriser son accès Wi-fi, il y a des solutions présentes sur le marché. Tout d'abord les clés WEP; à un niveau supérieur, les clés WPA et WPA2 ». Mais le plus souvent, les agissements illégaux proviennent de proches, notamment de ses enfants et non de pirates. Dans ce cas, le pare-feu peut être, selon Eric Walter, une solution amplement suffisante. La discussion entre membres du foyer semble également un gage d'utilisation responsable d'Internet : « moi aussi j’ai des enfants et savoir ce qui se passe sur l’ordinateur familial, ça s’appelle l’éducation… » conclut Marie-Françoise Marais.

Autre question délicate : le nombre de « réponses graduées » envoyées par mails aux internautes téléchargeant illégalement. Sur ce point, la discrétion est de mise. La présidente peu prolixe ne s’éternise pas et se contente d’annoncer « un millier » de messages envoyés. Une réponse qui ne suffit pas au sénateur Jean-Pierre Leleux (UMP, Alpes-Maritimes) qui frustré du silence de l’Hadopi, l’a appelée « à plus de transparence » sur l’avancement de ses travaux. Eric Walter promet cependant les premiers résultats d’une étude d’impact pour le prochain trimestre.

Au-delà de la musique : le livre numérique

Jacques Toubon, ancien ministre de la culture et membre du collège de l’Hadopi, a voulu élargir le débat en rappelant que le projet européen est plus global est concerne l’ensemble des industries culturelles. Et d’évoquer le problème du droit d’auteur dans le cadre du développement des livres numériques. Pour l’ancien ministre une TVA à 5,5% au niveau européen est « la seule façon de rentabiliser les industries culturelles ». D’accord sur le fond, le député Lionel Tardy tempère : « la TVA à 5,5% ce n’est pas un sujet qui aboutira de sitôt ; le vrai problème, c’est que les éditeurs n’ont pas pris conscience de l’urgence de mettre en place très rapidement une offre attractive en terme de choix et en terme de prix. On va droit dans le mur : le scénario qui s’est déroulé dans l’industrie de la musique se renouvèle dans le secteur du livre numérique ». A la surprise générale, deux jours après le dîner du Club Parlementaire du Numérique, le gouvernement  décidait de ne pas s’opposer à l’adoption d’un amendement baissant la TVA sur le livre numérique à 5,5% et de confier une mission de négociation avec les autres pays européens à … Jacques Toubon.

Régulation d’Internet : Hadopi n’est qu’une première étape

Jacques Toubon milite également pour une régulation d’Internet : « On régule les réseaux physiques. Pourquoi sous prétexte qu’Internet est un réseau numérique il échapperait à une quelconque régulation ? » Dans ce contexte, la loi Hadopi est « non seulement opportune mais indispensable ».
Les questions les plus épineuses ont été posées par les acteurs de la « société civile ». Les membres de la Quadrature du net et de l’UFC que Choisir ont été les contradicteurs provoquant le plus de réactions dans la salle. Se posant en défenseur des consommateurs, les deux associations ont dénoncé « la protection croissante des auteurs et des maisons de disques au détriment de ceux du public ». En réponse, Eric Walter a invité les deux associations à participer aux « labs », des laboratoires « révolutionnaires » de réflexion sur le numérique organisés par l’Hadopi.

Quant au rapporteur de la loi en question, Franck Riester (UMP, Seine-et-Marne), il propose d’être plus objectif dans l’évaluation de la loi en mesurant non seulement un éventuel changement de comportement des internautes mais surtout « l’impact de la création de valeur dans l’industrie numérique ». En conclusion, Jean Dionis expose son opinion: « il faut distinguer la loi Hadopi de la structure Hadopi. Sur la loi, je pense toujours qu'elle est contestable sur sa faisabilité et sa symbolique (...) Quant à la structure : l'hadopi est un centre de réflexion de haut niveau qui nous ouvre ses portes. Les adversaires de la loi Hadopi, dont je suis, ne peuvent pas refuser de participer à ce débat-là ». Un seul point d’accord semble avoir été trouvé. De l’ADAMI (société de gestion collective des droits de propriété intellectuelle des artistes) à Franck Riester en passant par Jean Dionis du Séjour, tous les acteurs s'accordent pour dire que la régulation d’Internet est loin d'être achevée…         

Pierre Laffon

Mise à jour le Lundi, 05 Décembre 2011 14:53