« Il faut mettre fin à l’asymétrie de régulation entre opérateurs télécoms et acteurs de l’Internet. »

Jeudi, 11 Décembre 2014 09:11 Administrateur
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Questions à Pierre Louette, directeur général adjoint et secrétaire général d’Orange

L’Union européenne fait face à vingt-huit règles nationales et autant de droits de la concurrence ce qui ne facilite pas les rapprochements entre opérateurs européens. La nouvelle Commission est-elle réceptive à vos revendications sur ce sujet ?

Il semble en effet y avoir une prise de conscience, notamment avec la nouvelle Commission, de l’insuffisante intégration du marché européen des télécoms. Au-delà des législations nationales, on voit s’effriter un certain nombre de dogmes de la politique de concurrence communautaire, comme le nombre supposé idéal d’opérateurs par marché.

Vous militez également pour l’extension de la régulation européenne à tout ce qui touche aux télécoms, y compris Google ou Apple. Quel est le sens de cette démarche ?

En fait, nous ne demandons pas une extension de la régulation actuelle mais une modernisation… je ne peux que constater qu’à l’ère du numérique, raisonner de façon verticale, sectorielle, n’a plus aucun sens. Un exemple : dans le cadre européen et national actuel, un service de téléphonie ou de messagerie sera fortement régulé s’il est commercialisé par un opérateur de télécoms et pas du tout s’il l’est par un acteur de l’Internet. Cette asymétrie est source de distorsions de concurrence massives entre les entreprises, mais surtout, elle n’offre aucune garantie de protection au consommateur ! Il faut donc que la régulation englobe l’ensemble de l’écosystème numérique, et pas seulement les réseaux – et prenne également en compte le fait que cet écosystème est désormais mondial.

Sur la 4G, comment rattraper le retard qu’a pris l’Europe sur des pays comme les Etats-Unis ou la Corée ?

Même s’il convient de relativiser ce retard (l’Europe bénéficie de réseaux 3G de qualité, qui ont rendu moins urgent le passage à la 4G), il est, c’est vrai, préoccupant car l’Europe investit substantiellement moins que les USA par exemple. L’accélération du déploiement des réseaux de nouvelle génération suppose que les opérateurs investissent plus qu’ils ne le font aujourd’hui. Or ceux-ci se trouvent dans une situation paradoxale : alors que la consommation de leurs services explose, leurs revenus et leurs marges continuent à baisser. Cette situation est le fruit d’une politique de concurrence dont les effets ont été mal anticipés et ne sont plus maîtrisés. Relancer l’investissement passera nécessairement par une restauration des marges des opérateurs. La consolidation du marché est une voie pour y arriver. Si notre secteur peut encore sembler « riche » aux yeux de certain, c’est une illusion. Les télécoms sont une industrie par nature fortement capitalistique : nous investissons beaucoup en proportion de notre chiffre d’affaires, et pour un temps long, de l’ordre de 20 ans, d’où un coût du capital plus élevé que d’autres.

Avec des opérateurs et des équipementiers européens, dix au total, vous avez lancé un vaste plan d’investissement de 150 milliards d’euros sur cinq ans. Quels sont vos engagements sur ces investissements ?

Il s’agit de tenir la promesse d’apporter du très haut débit à 100% des foyers. Cela passe par le déploiement des réseaux fixes et mobiles de nouvelle génération, avec l’ensemble des technologies disponibles. Mais aussi par un effort considérable de recherche et développement : lorsque l’on lance un service comme la 4G, il y a la partie émergée de l’iceberg que sont les dix ans de développement et de standardisation qui ont précédés.

Pour tenir cette promesse, il est crucial de ne pas alourdir la charge de la régulation sur les opérateurs et ainsi aggraver la distorsion de concurrence avec les acteurs Internet. Le projet de règlement communautaire en cours de discussion aura à ce titre valeur de test : la capacité des opérateurs à investir et à innover sera-t-elle préservée ? Ou les déséquilibres actuels seront-ils aggravés, au nom de grands principes décorrélés des réalités techniques et économiques ?