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« Conserver au livre toute sa valeur économique. »

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Questions à Laurence Engel, médiatrice du livre chargée de préserver les équilibres économiques entre les différents acteurs du secteur

Début décembre 2014, Amazon lançait un service baptisé Kindle Unlimited offrant d'accéder en illimité, depuis une liseuse ou une tablette, à un catalogue de 20 000 titres en français moyennant un forfait de 9,99 € par mois. Un service aujourd'hui jugé illégal en France selon Laurence Engel, médiatrice du livre.

Votre avis sur le livre numérique illimité donne raison aux éditeurs contre les distributeurs. Quel est l’enjeu pour les premiers ?

Les lois sur le prix du livre, papier ou numérique, n’ont pas pour objectif de donner raison aux uns ou tort aux autres, mais de défendre une filière industrielle et culturelle, essentielle pour l’économie nationale, et vitale pour la création éditoriale. C’est dans ce cadre que je travaille. Ce qui est vrai – et essentiel -, c’est que le système de régulation adopté par la France – mais aussi par de nombreux autres pays – consiste à faire de l’éditeur la clé de voute de l’équilibre économique de la filière. Cela lui donne un pouvoir, mais aussi une responsabilité. Et surtout, cela fonctionne efficacement! Ce qui est vrai aussi, aujourd’hui comme en 1981, c’est que ce sont les distributeurs qui peuvent être tentés par des démarches commerciales susceptibles de déstructurer l’ensemble de la filière. En fait, les deux lois de régulation, celle de 1981 comme celle de 2011, ont pour objectif non pas de pointer du doigt des acteurs économiques, mais d’interdire des pratiques qui relèvent du dumping. Ce sont des lois anti-dumping. L’enjeu, pour les éditeurs, comme pour l'ensemble de la filière du livre, c’est donc de conserver au livre toute sa valeur économique. C’est aussi la condition pour rémunérer les auteurs. 

 Vous ne remettez pas en cause pour autant les offres illimitées …

Comme je l’ai rappelé, la loi n’interdit pas par principe l’abonnement. Et encore moins le streaming. J’ai trop entendu ces dernières semaines que la question posée était celle du streaming : c’est une erreur qui biaise le débat. Si, comme certains le disent, l’intérêt des éditeurs et des auteurs est d’aller vers des offres illimitées – pour certains livres par exemple -, ces offres se développeront : les éditeurs sont aussi des entrepreneurs qui savent apprécier les opportunités du marché et l’intérêt des évolutions technologiques. Mais pas dans n’importe quelles conditions. L’essentiel est qu’ils puissent avoir la main : c’est ce que la loi prévoit avec sagesse. Mais, c’est vrai, j’ai un doute sur la réalité du caractère « illimité » des offres, et sur la cohérence de ce concept avec la réalité des pratiques de lecture. Quand on sait que moins de 20% des lecteurs lisent 20 livres ou plus par an, on peut se demander ce que recouvre cette attente d’illimité ! La possibilité de feuilleter, butiner … avant de louer ou d’acheter : sans doute, oui ; et c’est ce que permet le numérique depuis chez soi. Mais de là à lire comme on écoute de la musique …

La médiation s’annonce désormais difficile. Comment négocier un seul prix avec différents éditeurs ?

Votre question en recouvre deux. D’une part, la médiation qui s’ouvre avec les entreprises qui offrent des abonnements illimités. Lorsque ces offres sont illégales, il faudra que leur promoteur les fasse évoluer pour les rendre conformes au droit. Chaque éditeur devra fixer un prix pour les livres dont il détient les droits. C’est ce travail de médiation que j’entreprends, et qui n’a aucune raison d’être difficile. D’autre part, ces entrepreneurs vont devoir discuter avec les éditeurs. Mais il ne s’agit pas de négocier les prix de vente, puisque le prix est fixé par l’éditeur et que le distributeur doit s’y adapter. Il peut s’agir de négocier un partage de la valeur entre éditeurs et distributeurs – comme cela se fait déjà. Il s’agit surtout de développer des offres intelligentes en ce qu’elles répondent aux attentes des lecteurs, et légales, ce qui est la moindre des choses.

Quelles sont les solutions qui permettraient de trouver un accord ?

J’évoque dans mon avis des types d’abonnement qui sont légaux : quand ils sont proposés par un seul éditeur, quand ils prennent la forme de bouquets comme dans le secteur de la télévision payante, lorsqu’ils fonctionnent comme un club de lecture ouvrant droit à une certaine  « quantité de lecture » … Mais système régulé ne veut pas dire système administré ! C’est aux acteurs de la filière de définir les offres, heureusement. Il s’agissait seulement pour moi de montrer que, assez facilement et en se repérant dans des types d’offres commerciales qui existent déjà, on peut trouver des solutions : je ne doute pas que tous les entrepreneurs du monde du livre, a fortiori ceux qui se disent les plus innovants, auront beaucoup plus d’imagination.

Comment voyez-vous à l’avenir du livre numérique en France ? Sa croissance est forte mais reste infime dans le marché du livre.

Les abonnements illimités ne déterminent absolument pas l'avenir du livre numérique.  Dans les pays où ce marché s’est développé, son essor est d’ailleurs antérieur et extérieur au déploiement des offres d’abonnements… et peut-être lié à l’absence de réseau dense de librairies. À l’inverse, s’il y a des freins au développement du livre numérique, on ne peut les imputer à l’absence d’abonnements et encore moins à l’application de la loi de 2011 à ce type d’offres. Les blocages sont ailleurs. Par exemple dans les modalités trop contraignantes de protection, qui entravent les usages. 

Mise à jour le Mercredi, 04 Mars 2015 08:53  

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