« Les investisseurs français devraient rentrer plus tôt dans le cycle de financement des start-up, même avant qu’elles ne soient rentables. »

Vendredi, 13 Février 2015 10:49 Administrateur
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 Frederic Mazzella BlaBlaCar  

Questions à Frédéric Mazzella, fondateur de Blablacar, site de covoiturage

Vous avez créé Blablacar en 2006, pour devenir aujourd’hui le premier site de covoiturage au monde. Quelles sont les raisons de votre succès ?

BlaBlaCar met en relation des conducteurs effectuant un trajet pour leur propre compte, et des passagers se rendant dans la même direction. Ils font le trajet ensemble, et en partagent les frais. Les conducteurs réduisent ainsi le coût de leurs trajets de manière conviviale ; les passagers disposent d’une offre de transport abordable, fiable et conviviale. La communauté BlaBlaCar compte aujourd’hui plus de 10 millions de membres dans 14 pays.

Nous créons un nouveau segment de mobilité à moindre coût, avec un maillage très fin à travers tout le territoire, en mutualisant des actifs sous-utilisés : les voitures des particuliers roulant à vide. Le taux d’occupation moyen d’un véhicule en France pour un trajet longue distance est de 1.7 personnes, alors qu’il est de 2.8 personnes dans une voiture d’un membre de notre communauté. Nous permettons donc à d’avantage de personnes de se déplacer, tout en réduisant le budget mobilité des ménages et les consommations d’énergie.

Pour y parvenir, nous avons développé un moteur de recherche performant accessible sur smartphone (iOS & Android) offrant une expérience utilisateur efficace. Mais la croissance de BlaBlaCar repose surtout sur le lien de confiance interpersonnelle qui fédère notre communauté. Nous avons mis tous nos efforts dans la création d’une communauté de confiance par l’intermédiaire de profils détaillés et d’évaluations de membres, modérés par une équipe de relations-membres active 7j/7. Nous croyons en l’importance de la confiance interpersonnelle sur Internet pour libérer la valeur-ajouté du partage à grande échelle.

En juillet dernier vous avez levé 100 millions de dollars. Les difficultés de financement des start-up françaises ne sont donc pas une fatalité ?

La France est un formidable terreau de créativité et d’entrepreneuriat. Par exemple en 2014 les sociétés françaises dominaient pour la quatrième année consécutive le palmarès Deloitte qui recense les start-up aux plus forts taux de croissance en Europe, Moyen-Orient et Afrique. Paris s’impose de plus en plus parmi les capitales mondiales de la « tech », avec les réussites emblématiques de quelques pionniers mondiaux comme Criteo ou dernièrement Sigfox. Les investisseurs en sont conscients et ont le regard tourné vers nos pépites « made in France ».

Un obstacle demeure cependant : l’appréhension des investisseurs français lorsqu’ils sont confrontés à des stratégies de croissance privilégiant l’expansion internationale à la rentabilité. Les fonds de capital-risque américains ont bien compris qu’avec la rapidité inédite de notre société contemporaine connectée, une start-up avec une bonne idée, un business model, et la capacité d’exécution, n’a plus le temps d’attendre d’être profitable avant de s’internationaliser. La pertinence d’un service novateur dépend de sa présence globale, et celle-ci doit souvent être financée avant d’atteindre la rentabilité. Si les investisseurs américains ont cette audace-là, les investisseurs français et européens sont encore frileux.

Vous comptez 250 employés, dont plus de la moitié dans l’Hexagone. Quelles sont vos perspectives de croissance en France ?

Prouver qu’il est possible d’entreprendre en France, et de créer un leader mondial depuis Paris nous tient très à cœur. BlaBlaCar est présent dans 14 pays, de l’Angleterre à l’Inde en passant par l’Allemagne ou la Turquie, mais garde ses racines en France, un marché qui continue de croître de manière exponentielle, et où notre communauté est extrêmement enthousiaste et engagée.

Nous sommes confrontés à un véritable défi en France cependant : la difficulté de recruter des talents avec les compétences requises. Beaucoup de jeunes éduqués par nos grandes écoles vont tenter leur chance à l’étranger, et finissent par y rester, regrettant souvent de ne pas trouver en France le dynamisme qu’ils pensent trouver ailleurs, ou appréhendant notre complexité administrative et fiscale. Mais nous espérons que les succès entrepreneuriaux de ces dernières années commencent à faire écho, limitant la fuite des cerveaux et agissant comme un levier pour stimuler un retour des talents français de l’étranger.

On parle de BlaBlaCar comme un des acteurs principaux de l’économie collaborative. Comment définissez-vous ce concept ?

Notre activité s’inscrit dans la logique du partage des biens sous-utilisés, et des frais qui y sont associés. La mise en réseau favorisée par l’inter-connectivité inédite de notre société, décuple l‘échelle à laquelle nous pouvons organiser le partage des biens. Ces pratiques sont créatrices de lien social, limitent notre impact environnemental par l’optimisation de nos ressources, et renforcent le pouvoir d’achat en diminuant le poids des coûts subis au quotidien par des actifs trop souvent sous-utilisés.

Sur BlaBlaCar, le conducteur ne fait pas de profit, mais partage un trajet qu’il va effectuer de toute manière, en contrepartie d’une compensation partielle de ses frais (essence, péages). Ce n’est donc pas une activité professionnelle. Il s’inscrit purement et simplement dans une expérience de partage social et financier, comme un voyage réalisé avec des amis.

Quelles sont vos dernières innovations mises au point ?

Nous avons lancé il y a trois mois un service d’aide aux membres régi par les membres eux-mêmes : BlaBlaHelp. Illustrateur de l’esprit solidaire qui anime notre communauté, ce tchat permet aux membres de s’entraider en temps réel lorsqu’ils ont des questions simples sur le service. Les chiffres sont édifiants : en seulement trois mois, nous avons déjà 500 BlaBlaHelpers, qui sont des membres expérimentés proposant volontairement de répondre aux requêtes de leurs pairs plus novices. Plus de 95 % des requêtes obtiennent une réponse sous 10 secondes. Le citoyen de l’économie de partage est désireux de créer de la valeur pour la communauté à laquelle il appartient, et dont il bénéficie également en retour. Ce cercle vertueux est un beau pied de nez à ceux qui catalogueraient notre société d’« individualiste ». C’est aussi la preuve que l’ère du digital a un visage humain, et qu’elle engendre de nouveaux liens sociaux.

 

Mise à jour le Vendredi, 13 Février 2015 16:34