Entretien avec David El Fassy, Président Directeur Général d’Altitude Infrastructure*

Mercredi, 19 Mai 2010 12:25 Claire
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Votre activité est tournée vers les zones peu denses et zones périurbaines moyennement denses. Quelle expérience avez-vous dans ce domaine ?

Hormis une DSP pour le Grand Rodez, L’essentiel de notre activité a toujours concerné la ruralité (Pyrénées-Atlantiques, Lozère, Meuse, Deux-Sèvres, Vendée, Calvados…).
En zone moyennement dense et peu dense, les collectivités sont perturbées. Le plan France Numérique 2012 prévoyait du 2Mb pour tous. En 2010, cette tâche n’est pas encore achevée qu’il faut déjà se préoccuper du THD. Les collectivités n’ont pas d’autre choix politique que de tendre vers ce nouveau but, sans avoir forcément les moyens à court terme de cette ambition.
Les estimations gravitent entre 300 et 500 millions d’euros par département. Il faut les trouver.

Quel regard portez-vous sur les problématiques de financement du très haut-débit ?

Chez Altitude Infrastructure, nous nous basons sur l’étude réalisée par Tactis pour la Datar, qui établit d’une part que 100% de couverture en FTTH correspondrait à 30 Md€ d’euros d’investissements dont 15 milliards de subventions publiques. L’étude évoque d’autre part un scénario plus pragmatique, qui semble convenir au plus grand nombre, prévoyant 80% de FTTH et 20% de montée en débit (5% cuivre et 15% hertzien). Ce scénario représente 18 Md€ d’investissements dont 8 milliards de participations publiques.
Par ailleurs,  nous faisons plusieurs constats : le coût très élevé de l’opération, le mauvais état des finances des collectivités locales, la baisse de régime qui touche le secteur privé et l’apport du grand emprunt qui prévoit 750 millions d’euros pour les zones moins denses (il y a 5 millions de prises en zone dense et 22 millions en zone moyennement dense ou peu dense).

« Il faut impérativement garder en ligne de mire
le THD pour tous mais passer par des étapes de montée en débit »

Nous adhérons à l’initiative du Gouvernement qui fixe l’objectif du très haut-débit pour tous. Mais nous ajoutons quelques bémols : à chaque fois qu’il est question de THD, deux paramètres ne sont pas suffisamment pris en compte : en premier lieu le THD mobile. Je souligne qu’il est la première cible de l’innovation. Par conséquent, si l’on veut cadrer le financement du THD pour tous, il faut penser au fixe mais aussi au mobile, sous peine de recréer des fractures dans la mobilité.
Le second facteur est le temps. Ce chantier colossal prendra du temps. Nous n’avons pas les moyens financiers et probablement pas la capacité industrielle de réaliser le chantier du THD (22 millions de prises) en dix ans. Vingt années me paraissent être une échelle de temps plus raisonnable, même s’il est difficile d’être précis en la matière.  C’est pourquoi il faut impérativement garder en ligne de mire le THD pour tous mais passer par des étapes de montée en débit.

Quelle est la stratégie d’Altitude Infrastructure pour prendre part à cette montée en débit des territoires en zones moyennement dense et peu dense ?

D’abord, comme le suggère l’Etat, il faut établir des schémas directeurs. Ensuite, nous travaillerons avec les collectivités pour tendre vers les objectifs définis, au fur et à mesure des années, des avancées technologies et des moyens financiers disponibles.

Notre préconisation est la suivante : si une collectivité investit un euro, il faut qu’elle s’assure que 75% de cette somme est déjà un investissement utile aux futurs réseaux THD. Les 25% restants peuvent correspondre à une solution temporaire. On peut, par exemple, fibrer durablement un village isolé et le relier à un nœud de collecte éloigné grâce à un faisceau hertzien. Il remplira sa fonction en attendant qu’il soit possible de relier, par la fibre, le nœud en question au village. C’est un exemple parmi d’autres.

Concernant le modèle financier, quelle est votre opinion ?

Tous les principes que j’ai énoncés induisent des restrictions concernant le modèle financier à mettre en place.
Pour les chantiers qui nous préoccupent, le PPP reste une bonne solution à petite échelle. Mais il présente une faiblesse pour un usage à plus grande échelle : c’est un dispositif très pointu. On ne part pas à l’aveuglette, tout le processus doit être connu à l’avance. A l’échelle départementale ou régionale, il est compliqué d’écrire vingt années d’histoire à l’avance. Dans ce cadre, mieux vaut opter pour la DSP concessive ou d’affermage (1).
Il nous manque encore des éléments, mais nous regardons aussi de près les SEM évoquées par la loi Pintat, cette disposition qui permet aux collectivités d’entrer au capital d’une société commerciale ayant pour vocation le déploiement du THD. C’est un bon outil pour faire avancer le THD au rythme des moyens à disposition comme le ferait n’importe quelle entreprise privée avec différents actionnaires.

"A mon sens, la fibre deviendra le média ultime pour l’Internet fixe et le hertzien celui du mobile."

Sur le plan technique, mettez-vous en avant la complémentarité des modes de connexion ? Comment envisager cette complémentarité ?

A mon sens, la fibre deviendra le média ultime pour l’Internet fixe et le hertzien celui du mobile. Le hertzien propose en effet un débit partagé et dans l’état actuel des choses, nous n’avons pas le spectre disponible pour faire du THD fixe en hertzien capillaire (2). Tout le monde parle du 800 Mhz comme solution d’aménagement du territoire. Hors, d’après nos calculs, il permettra de faire du 2Mb pour tous mais certainement pas du 20 ou du 30 Mb.
Quant au satellite, il faut attendre de voir. Les affirmations d’Eutelsat et du CNRS ne se vérifient pas encore dans les faits.  Admettons que demain le satellite puisse offrir du 100Mb pour tous, il deviendrait évidemment la meilleure solution pour les zones les plus reculées.
Mais, à mon sens, il y aura toujours les contraintes liées à la distance qui feront que le satellite ne sera pas adapté à tous les usages. Qui plus est, son débit est fonction du trafic.
Pour autant, il ne s’agit pas de mettre cette technologie de côté, car elle sera forcément une solution pour atteindre les zones les plus reculées.

Propos recueillis par Armel Forest

* A propos d’Altitude Infrastructure

Altitude Infrastructure accompagne les collectivités depuis plus de 10 ans pour construire, développer et exploiter des réseaux de télécommunications alternatifs. Avec 17 RIP (réseaux d’initiative publique), cette filiale du Groupe Altitude figure parmi les leaders français de l'aménagement numérique du territoire et propose un catalogue de services ouvert à tous les opérateurs télécoms sur les réseaux déployés. Altitude Infrastructure a ainsi investi  200 millions d’euros dans les projets haut-débit (dont 40 millions en fonds propres et le reste en subventions).

Plus d’informations sur le site www.altitudeinfrastructure.fr.

(1) c’est la collectivité qui assure l’investissement et construit le réseau par marché public. Le prestataire reverse une partie de ses revenus à la collectivité.
(2) En technologie de collecte, il est possible de faire du THD.

Mise à jour le Mercredi, 19 Mai 2010 14:15