Numérisation des livres de la BnF : le recours à Google « indispensable »

Mercredi, 10 Mars 2010 08:50 Claire
Imprimer

Le sénateur Yann Gaillard (UMP, Aube), rapporteur spécial de la Commission des finances pour la mission « Culture » a rendu un rapport intitulé :   « La politique du livre face au défi du numérique ». Il s'agit, depuis 2007, du sixième rapport qui se penche sur les questions de numérisation et d'évolution du marché du livre. Petit aperçu d’un enjeu vital.

Depuis 2007, pas moins de 6 rapports se sont penchés sur la question de la politique du livre. Sur les 108 propositions issues de ces rapports, 29 ont été mises en œuvres, 47 sont en cours de mise en œuvre et 32 ne se traduisent par aucune évolution. L’ensemble de ces préconisations a cependant joué un rôle d’impulsion. Quelques avancées notoires : l’ex-direction du livre et de la lecture devenue service du livre et de la lecture est « désormais mieux centrée sur ses fonctions stratégiques » ;

les aides du CNL à la librairie ont été accrues, en passant de 1,3 million d’euros en 2007 à 3 millions d’euros en 2009. Début janvier, un nouveau rapport est venu compléter la longue liste, celui établi par la mission sur la numérisation des fonds patrimoniaux des bibliothèques, dirigée par Marc Tessier, ancien président de France Télévisions. La mission sénatoriale s’en est d’ailleurs largement inspirée pour rédiger son rapport tout en apportant ses propres observations et en ne s’interdisant aucune critique.
Très vite, le rapporteur déplore « une politique du livre répartie entre plusieurs ministères, dépourvue de chef de file ». Alors que le coût global de la politique du livre est de l’ordre de 1,3 milliard d’euros (dont 500 millions d’euros de TVA à taux réduit), Yann Gaillard remarque que cette politique est « peu lisible » et qu’une ventilation par ministère mais aussi par domaine d’action permettrait de mieux comprendre en quoi consiste concrètement la politique du livre. Le rapporteur insiste alors sur la nécessité de désigner un ministre chef de file de cette politique afin qu’elle ne soit plus, comme actuellement, éclatée entre plusieurs ministères.

Il faudrait environ 750 millions d’euros et 375 ans pour numériser l’ensemble des ouvrages de la BnF.

Le rapport s’est ensuite plus particulièrement attaché à la question du livre numérique. Rester à l’écart de ce mouvement de numérisation condamnerait le patrimoine écrit des bibliothèques et des Etats à « une inéluctable marginalisation » insiste le rapporteur. Mais aujourd’hui, parler de numérisation des fonds de bibliothèques revient pour beaucoup à se limiter au sujet de l’affaire « Google » qui a lancé son projet « Google Livre » et qui constitue à ce jour la principale bibliothèque numérique mondiale (1). En France, alors que l’objectif politique affiché depuis 2007 est de consacrer plus de 15 milliards d’euros par an au développement du numérique (dont 10 millions d’euros par an pour la numérisation du patrimoine de la BnF), les sommes effectivement allouées à cette politique sont inférieures à 10 millions par an (7,5 millions en 2008, dont 6 millions pour le projet Gallica de la Bnf et 1,5 million pour les opérateurs privés). Un financement insuffisant qui met en péril la numérisation même du patrimoine de la BnF. Pour Yann Gaillard, le recours à Google est donc « indispensable ». Pour en arriver à une telle conclusion, le rapporteur est parti de l’hypothèse que le patrimoine de la BnF à numériser « équivaut » à 15 millions de livres (ou ouvrages). Actuellement, 100 000 documents par an, mais seulement 40 000 livres sont numérisés par la BnF ; le coût moyen de numérisation est de 50 euros. « On peut donc estimer, qu’avec les moyens actuels de la BnF, il faudrait environ 750 millions d’euros et 375 ans pour numériser l’ensemble des ouvrages » souligne tranquillement le rapporteur. Or, selon Bruno Racine, actuel président de la BnF, « la totalité des fonds de la BnF pourrait être numérisé en 10 ans par Google ». Mais attention, « le recours à Google n’est bien entendu pas exclusif du recours  à d’autres entreprises » prend soin d’ajouter Yann Gaillard. En 2009, il avait été envisagé un projet de numérisation partielle des collections, en partenariat avec Google. Ce projet n’a pas eu de suite, sous la pression de quelques-uns, dont l’ancien président de la BnF, Jean-Noël Jeanneney qui évoquait « sa colère devant un acte insensé ».

Parvenir à un accord équilibré avec Google

Le rapport Tessier estime quant à lui que, si la BnF doit numériser la totalité ou la quasi-totalité de ses collections, « il convient de parvenir à un accord aussi équilibré que possible avec Google ». Il s’agirait d’échanger des fichiers, ou à défaut de mettre en place une filière commune de numérisation. Dans les deux cas de figure, la moitié du coût de numérisation serait pris en charge par Google. Mais, selon le rapporteur, les moyens financiers nécessaires à la politique préconisée par le rapport Tessier « restent encore largement à déterminer ». Il est prévu de consacrer, dans le cadre de l’emprunt national, 142 millions d’euros à la numérisation du patrimoine de la BnF, ce qui comprend notamment la numérisation de documents qui ne sont pas des ouvrages. « Si les sommes disponibles de 2010 à 2014 semblent donc devoir être significatives (près de 20 millions d’euros par an si l’on suppose qu’elles sont de 100 millions d’euros et dépensées sur 5 ans), tel n’est pas le cas à plus long terme » s’inquiète le sénateur qui poursuit : « Le rapport Tessier ne chiffre pas le coût de la politique qu’il propose, à laquelle il ne fixe par ailleurs pas d’objectif quantitatif précis. On peut cependant estimer, en première analyse, que celui-ci pourrait être de l’ordre de 400 millions d’euros, soit 40 millions d’euros par an pendant 10 ans ». Dans ces conditions, et si l’on entend suivre les préconisations du rapport Tessier, des moyens supplémentaires semblent indispensables. « Après prise en compte des 6 millions d’euros actuellement consacrés chaque année à cette politique, - sans oublier les 142 millions d’euros prévus par l’emprunt national pour la numérisation du patrimoine de la BnF - il pourrait manquer de l’ordre de 240 millions d’euros, soit 24 millions d’euros par an en moyenne sur une période de 10 ans » complète Yann Gaillard. « Moins de la moitié du coût du rapport Teissier serait actuellement financé » s’inquiète le rapporteur. Probablement conscient du problème, le ministère de la Culture réfléchit depuis plusieurs années déjà à une nouvelle réforme de la taxe sur les appareils de reproduction ou d’impression consistant à étendre l’assiette aux « consommables » (cartouche d’encre, …). Selon le rapport Zelnik, cela permettrait une augmentation des moyens du CNL de 10 à 15 millions d’euros par an. De son côté, la commission des finances du Sénat préfèrerait que ce financement soit assuré par un redéploiement des crédits budgétaires. « En tout état de cause, il convient de s’assurer de la disponibilité à long terme des moyens financiers nécessaires » conclut sur ce sujet le sénateur.

Par Antoine de Font-Réaulx

(1) En février 2010, selon Google, 12 millions d’ouvrages étaient numérisés, dont 50% non anglophones. Pour se faire une idée précise de cette bibliothèque numérique, le lecteur est invité à se connecter au site : http://books.google.fr/


Consultez l’intégralité du rapport : http://www.senat.fr/rap/r09-338/r09-3381.pdf


Mise à jour le Jeudi, 11 Mars 2010 17:54