« Un milliard d’euros d’investissements pour améliorer la couverture des radios de 20 à 30 %, c’est excessif ! » - Entretien avec Marc Tessier

Lundi, 30 Novembre 2009 15:43 Claire
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Entretien avec Marc Tessier, auteur du rapport sur les «perspectives de financement du projet de radio numérique terrestre»

« Un milliard d’euros d’investissements pour améliorer la couverture des radios de 20 à 30 %, c’est excessif ! »

Pourquoi la RNT est-elle autant remise en question quand le passage à la TNT est admis par tous ?

Si la terminologie « numérique » est commune à la TNT et à la RNT, elle recouvre en réalité des différences essentielles. La TNT modifie en profondeur l’économie du secteur télévisuel. Le dividende numérique, dans ce cas, est à la fois un progrès qualitatif - la haute-définition, une amélioration quantitative forte portant de 6 à 30 le nombre de chaînes pour tous, et une économie substantielle du coût unitaire de diffusion. La période de transition en cours, bien que coûteuse, conduit à un bilan global positif.

Le bénéfice de la RNT, c’est avant tout une amélioration de la couverture géographique des radios actuelles, sans création, autre que marginale, de nouvelles radios, sur Paris par exemple, ni d’amélioration décisive de la qualité et des services rendus, contrairement à la TNT. En outre, certains des problèmes techniques, comme la réception « indoor profond » (1), les décrochages locaux ou la couverture autoroutière doivent encore être résolus, avec un coût supplémentaire.

Ainsi, l’investissement d’un milliard d’euros sur une dizaine d’année pour le passage à la RNT ne se justifie pas ?

C’est une question de contexte économique et pas simplement de coût. La RNT présente avant tout comme avantage l’augmentation de couverture, mais à condition que celle-ci soit très significative, disons au moins 90% des auditeurs, pour les radios nationales qui font la plus forte audience ; ce à quoi, pour des raisons de coût, les éditeurs privés répugnent. Faisons le calcul : 140 millions d’euros de surcoût par an jusqu’en 2020, dans cette hypothèse, à comparer à des recettes publicitaires de l’ordre de 700 à 800 millions selon les années, dans un contexte de relative érosion de l’audience ; telle est l’équation que j’ai rappelée dans le rapport remis au Premier Ministre.
Est-il raisonnable que l’Etat intervienne en cas de stagnation, voire de récession des ressources publicitaires de la radio pour compenser tout ou partie d’un surcoût cumulé de l’ordre du milliard d’euros ?

Le fait de relever le seuil de concentration (2) suffira-t-il à remobiliser les éditeurs ?

Aujourd’hui, la radio diffusée en mode FM se voit appliquer un plafond de concentration sans doute inférieur à 10% de l’audience potentielle, tous éditeurs confondus. C’est un pourcentage très bas, sans justifications économiques ou culturelles particulières. Commençons par aligner la radio sur le plafond le plus bas retenu pour les autres médias, soit 20% de l’audience potentielle, tout en protégeant les radios locales en appliquant un taux plafond sur chaque bassin local de population.
D’ailleurs, les radios indépendantes se sont regroupées pour présenter une offre publicitaire unique couvrant de l’ordre de 20% de l’audience potentielle, sans que cela n’ait soulevé d’objections.

Une remise en cause totale de l’opportunité de ce passage est-elle possible / souhaitable selon-vous ?

La radio est déjà numérique, et cela de plus en plus, sur Internet, fixe ou mobile, sans que l’auditeur n’ait à payer un abonnement spécifique au-delà de l’abonnement général à Internet qu’il souscrit quoiqu’il arrive pour tous ces usages. Cela ne signifie pas que la diffusion en mode « broadcast » FM va disparaitre, au contraire. Simplement, l’apport que constituerait le lancement de la RNT doit tenir compte de la situation nouvelle engendrée par la multiplication des terminaux multifonctions.
L’exemple d’autres pays est éclairant. Bientôt, en Angleterre, l’audience radio via les réseaux 3G ou IP à domicile sera significative comparée à la réception de la radio numérique terrestre qui, soit dit en passant, est encore inférieure à 20%, dix ans après le lancement.

Monsieur Emmanuel Hamelin estime qu’un délai établi au-delà de 2010 déstabiliserait le marché radiophonique.  La transition est selon lui une nécessité urgente, dont le financement doit être soutenu par l’Etat. Que vous inspirent ces conclusions ?

Le rapport Hamelin ne porte pas sur la radio numérique mais sur le financement des radios associatives. Certes, en complément, il affirme qu’il serait souhaitable de lancer la radio numérique, mais sans arguments techniques à l’appui. Une opinion, quelle qu’elle soit, ne se compare pas à un rapport. Nous avons, pour notre part, fourni trois mois de travail et d’auditions de toutes les personnes concernées pour établir nos conclusions.

(1) Pièces reculées et sans ouvertures
(2) Le seuil de concentration, appelé aussi seuil anti-concentration, s’exprime en pourcentage de l’audience potentielle de la radio. Une radio ne peut contrôler différents réseaux desservant plus de 150 millions d’habitants.