Gilles Babinet : "On va prendre des baffes, mais c’est le prix pour faire avancer les choses"

Lundi, 02 Mai 2011 07:42
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Entrepreneur et investisseur (MXP4, Eyeka, CaptainDash), fondateur de Musiwave, Gilles Babinet vient d'être élu président du tout nouveau Conseil National du Numérique (CNN). A la tête de cette institution dont la mission est "d'éclairer le Gouvernement et de participer au débat public dans le domaine numérique" (cf décret instituant le CNN), le nouveau président devra faire vivre le débat et trouver le bon registre d'expression du CNN... Il livre, en exclusivité pour le Club Parlementaire du Numérique, ses premières réflexions et impressions sur ce que devra être le CNN. 

Comment votre élection s’est-elle passée ? Vous êtes-vous présenté ?

Au risque de vous décevoir, on a décidé de ne pas évoquer le processus d’élection. Ce que je peux vous dire c’est que c’est une élection, à mon sens, consensuelle et que je suis heureux d’être élu.

C’était un petit conclave secret…

 Exactement, avec une fumée blanche à l’issue.

Dès le jour de votre élection, on a relevé une expression étrange venant de votre part puisque vous avez parlé d'un "Internet sain". Qu’entendez-vous par un "Internet sain" ?  

Qu’il importe de filtrer Internet massivement… Non, plus sérieusement, cette histoire c’est une vaste blague. J’étais furieux de m’être ainsi pris les pieds dans le tapis en l’apprenant. C’est idiot de penser que je veux qu’on contrôle Internet. On m’a ensuite dit que cela avait été interprété comme en regard avec le concept  « d’Internet civilisé » de Sarkozy… Inutile de dire que ça n’a rien à voir… Je voulais dire un « environnement sain  pour l’Internet » et patatras…

Que répondez-vous à ceux qui voient dans ce CNN un e-MEDEF qui ne représente que les patrons du Web et pas les consommateurs ? 

 Les consommateurs tout comme les fournisseurs de contenus disposent de plusieurs dispositifs leur permettant de s’exprimer et d’infléchir le cours des choses. Une institution réunissant des personnes spécialisées dans l’Internet manquait pour pouvoir réagir avec efficacité et vélocité aux questions relatives à Internet. J’assume donc la composition actuelle du CNN dont les membres sont extrêmement compétents. Mais ceci étant, je ne suis pas sûr qu’on ait des points de vue nécessairement contraires à ceux des consommateurs. De toute façon, on va évidemment largement consulter des associations de consommateurs, celles des  contenus et d’autres encore. Et puis, l’idée sera d’utiliser Internet pour permettre une vaste participation, évidemment.  

Quel est l’état d’esprit des membres du CNN ? Comment vous situez-vous vis-à-vis de vos collègues du CNN ?

Il me semble qu’il y a plusieurs sensibilités politiques autour de la table mais ça n’a que peu d’importance. Pour ma part, j’ai dans un premier temps hésité à participer au CNN jusqu’à ce qu’on me donne les garanties d’indépendance du Conseil. Point commun à tous les membres du CNN : un sentiment partagé qu’Internet a sur le plan économique et sociétal  un impact massif sur le pays – sentiment confirmé par le rapport McKinsey  - mais que ce secteur était, jusqu’à présent, traité comme la cinquième roue du carrosse et sous-estimé. L’objectif est désormais de remettre Internet au centre du débat et qu’on comprenne que c’est un facteur de croissance et d’épanouissement de la société française. A droite comme à gauche les politiques ne sont pas très à l’aise avec Internet. On ne va pas se gêner pour se faire entendre et faire entendre notre voix de manière indépendante du pouvoir politique en place ou de l’opposition. Maintenant, au-delà des aspects économiques, les questions de sociétés que soulèvent Internet sont nombreuses et parfois complexes ; là encore, la consultation sera essentielle.

Comment va s’organiser le travail du CNN ? 

Je crois que tous les Conseillers expriment le souhait que les choses aillent très vite. Une première réunion devrait se tenir cette semaine. L’idée c’est de faire travailler le Conseil à fréquence renouvelée et de façon transverse. On a donc créé trois commissions  avec trois thématiques précises : Croissance, Accès et Libertés, respectivement présidées par François Monboisse (de Fnac.com, et président de la Fevad), Giuseppe De Martino (Directeur Juridique de Dailymotion.com, vice-président de l'Asic) et Nicolas Voisin (fondateur d’Owni). Je souhaite que ces commissions soient « sur-actives » car un très gros travail nous attend à la fois dicté par les agendas extérieurs et les questions qu’on voudrait aborder rapidement.

Par quoi allez-vous commencer ?

En ce qui me concerne directement, je voudrais rencontrer le milieu associatif. Mais j’ai aussi à l’esprit une liste de parlementaires, d’élus de tous bords et d’institutionnels à rencontrer. Ensuite, tout l’équilibre à trouver au sein du CNN sera de créer du consensus et de délivrer.

Le CNN doit-il accueillir en son sein des parlementaires ?

[Longue hésitation] Je crois qu’il faut d’abord faire fonctionner le Conseil avant son éventuel élargissement. Mon sentiment – que j’exprime à titre personnel- est qu’à 18 membres on a déjà atteint une taille critique. On verra à l’usage, mais j’ai le sentiment que si le nombre de membre de notre collège prenait plus d’ampleur, le CNN risquerait d’être moins pertinent et efficace dans son action. Je note par ailleurs que le décret semble avoir gelé à 18 membres le nombre de Conseillers.

Gérer la communication va être un exercice difficile.

Pour l’instant je ne communique pas tant que ça. Le CNN communiquera quand il aura des choses à communiquer. Pour cela il faut prendre les premières décisions. Le CNN n’a pas vocation à devenir une agence de relations presse, mais plutôt un outil efficace.  Par ailleurs, oui, on va prendre des baffes, mais c’est le prix pour faire avancer les choses.

La présidence du CNN, c’est le plongeon dans l’inconnu de la sphère publique ?

J’ai travaillé au sein de commissions à l’institut Montaigne car j’avais cette frustration de voir l’Internet déconsidéré alors que je le percevais comme un facteur de compétitivité et de croissance essentiel. Mais je n’ai pas d’agenda politique en tête si c’est la question  posée…  Et pour que ce soit clair, nous ne sommes le sous-marin –même de poche- de personne.

Quels sujets souhaitez-vous aborder ? Lesquels vous tiennent à cœur ?

En tant que président du CNN je suis « agnostique » : tous les sujets ont leur importance. En tant que simple membre du CNN, j’ai une sensibilité plus particulière sur certains sujets comme les sujets économiques et fiscaux. Sur la neutralité du Net par exemple, j’ai mon avis mais j’estime qu’il y a des gens plus  compétents sur le sujet autour de la table. Mais je le répète en tant que président je m’investirai sur tous les sujets pour faire avancer le CNN de façon coordonnée. 

Le discours du président de la République lors de l’instauration du CNN est-il un tournant dans l’appréhension d’Internet ?

C’est un sujet difficile. Je viens moi-même de faire l’expérience des petites phrases mal interprétées… Le président a mentionné 20 secondes Hadopi : on se focalise sur ces 20 secondes en oubliant le reste. Ceci étant, j’ai perçu ce discours comme une remise au centre du jeu d’Internet. Est-ce des effets de manches ou un réel changement ? L’avenir le dira, mais j’ai trouvé que c’était un bon discours pollué par ce débat sur Hadopi. 

Propos recueillis par Pierre Laffon  

Mise à jour le Lundi, 05 Décembre 2011 14:59