"Les acteurs du numérique doivent assumer leur responsabilité sociale"

Lundi, 27 Février 2012 08:49
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altMarc Mossé, directeur des affaires juridiques et publiques au sein de Microsoft, livre pour le CPN son analyse des grands enjeux du moment : Open Data, libertés numériques, Cloud, neutralité du Net... Entretien avec le représentant d'un acteur majeur du secteur.

Quel doit être le rôle de Microsoft dans la protection et la promotion des droits des individus dans la révolution numérique ?

La protection de la vie privée est une clef du développement de l’Internet. Un internet libre et de confiance. Or, il est inquiétant de voir certains acteurs du web opposer liberté d’expression et vie privée. La protection de l’espace privé des citoyens a permis l’émergence des libertés d’opinion et d’expression. Opposer artificiellement ces droits fondamentaux pour justifier un modèle économique est dangereux. C’est habile mais cynique. C’est aux principes fondateurs de nos sociétés démocratiques de s’imposer aux technologies et non l’inverse. Et face à ce sujet complexe, il importe que toutes les parties prenantes dialoguent. Pour Microsoft, les acteurs du numérique doivent assumer leur responsabilité sociale et sociétale à cet égard et travailler à concilier nouvelles expériences du web et exigence de protection de la vie privée par des standards élevés. Il s’agit de replacer le citoyen au centre des usages en lui donnant le pouvoir de décider de ses choix et d’avoir un usage libre du web.

Dans cette optique de protection des droits des individus, quel doit être le rôle des différents acteurs (Etats, entreprises…) ? Une régulation étatique est-elle souhaitable ? 

L’harmonisation du droit applicable est essentielle. Le projet de règlement européen va ainsi dans le bon sens même s’il est perfectible. La simplicité, la clarté des règles sont utiles aux citoyens comme aux acteurs économiques et aux consommateurs. Il est notamment essentiel que soient fixées des règles transparentes et cohérentes en matière de transferts internationaux de données.  

"S’appuyer sur un triptyque alliant régulation, co-régulation et privacy by design"

Le développement du Cloud Computing impose que soient apportées des garanties de sécurité et de protection des données. Nous avons d’ailleurs introduit dans nos contrats avec les entreprises, les clauses contractuelles types décidées par la Commission Européenne en 2010. Avec des cycles accélérés d’innovation et des évolutions constantes des usages, sans doute faut-il s’appuyer sur un triptyque alliant régulation, co-régulation et privacy by design. Ce dernier concept renvoyant à l’introduction de fonctionnalités protectrices dans les outils eux-mêmes tel le do not track de notre navigateur IE9. Mais il est certain que la régulation garde toute sa place surtout face aux comportements inappropriés dont celui récemment commis par Google. 

Quels sont les enjeux de l’Open Data pour Microsoft  et la France selon vous ? 

L’open data ouvre sur une triple innovation : démocratique, sociale et économique. La mise à disposition des données publiques, dans le respect de la vie privée, montre que la puissance publique peut jouer la carte de la transparence avec les citoyens. Personne ne mesure encore vraiment ni l’étendue ni les conséquences de cette évolution, mais une chose est sûre : elle fait le pari de l’intelligence collective, de la créativité. Cette circulation de l’information ouvrira évidemment sur de nouvelles pratiques sociales et sociétales fragilisant les conservatismes. Enfin, mettre à disposition ces données publiques, c’est aussi permettre à des start-up, à des entrepreneurs de toutes tailles, de créer des applications originales. Tout un écosystème créateur d’emplois va émerger dans nos territoires. C’est un réservoir immense d’innovations ! Nous sommes enthousiastes d’y contribuer comme nous l’avons fait avec notre solution totalement ouverte de publication de données sur laquelle se sont appuyés une start-up – Captain Dash - et le département de Saône-et-Loire pour construire son portail Open data. 

"La neutralité du net, ce n’est pas seulement une question de tuyaux"

Nous sommes engagés de longue date dans l’accompagnement de ce mouvement. En mars 2011, nous avions réuni 300 acteurs clefs du mouvement pour une demi-journée d’atelier, dans le cadre de notre laboratoire d’idées RSLN. Il faut saluer ici l’action d’Etalab et de son projet Data-connexions dont nous sommes l’un des partenaires.  

Qu’en est-il du Cloud Computing ? 

Le Cloud est une opportunité de développement économique et un gisement de croissance fantastique. L’économiste italien F. Etro pointait dans une étude de 2009 que cela pouvait créer jusqu’à 150 000 emplois dans notre pays. Cela permettra à des PME d’accéder à la puissance numérique sans investissements lourds et donc d’être plus compétitives. La modernisation de l’Etat y gagnera également tant en termes d’économies budgétaires que de conforts des agents publics et de qualité des services rendus aux citoyens. Enfin, cela va permettre de créer de nouveaux usages innovants. Le Cloud est un accélérateur pour la France. Chez Microsoft, nous proposons des solutions performantes dont des plateformes de développement acceptant toutes sortes de langages y compris open source et nous mettons ces solutions à disposition des TPE/PME. Mais la réussite de l’informatique en nuage reposera avant tout sur la confiance et la transparence.

 "Lorsque j’entends certains acteurs n’avoir que cette expression de neutralité du net à la bouche, je pense à un Pinocchio du web et je vois leur nez s’allonger tous les jours un peu plus"

 

Celles-ci supposent un haut niveau de sécurité et de respect des règles de protection des données. L’actualité vient de spectaculairement montrer que le modèle économique reposant uniquement sur la monétisation de la vie privée, parfois et même trop souvent à « l’insu du plein gré » des gens, constitue un véritable problème qu’il faut traiter ; que ce soit dans le Cloud grand public ou dans celui destiné aux entreprises ou entités publiques.  

Quelle est votre vision de la neutralité d’Internet ? 

C’est un enjeu démocratique et économique majeur. Prendre en compte les soucis de qualité de service, ne doit entraîner aucune discriminations ni limiter la liberté de communication. Un dialogue en bonne intelligence entre les différents acteurs est ici utile et nous y prenons notre part. Les récentes décisions de la CJUE ont heureusement rappelés que le filtrage et la surveillance ne pouvaient être une solution. Mais, la neutralité du Net, ce n’est pas seulement une question de tuyaux. Il est tout aussi essentiel de garantir l’absence de manipulation des résultats, par exemple par les moteurs de recherche, afin de protéger le principe de pluralisme, la vie privée et l’innovation. D’ailleurs, lorsque j’entends certains acteurs n’avoir que cette expression de neutralité du net à la bouche, je pense à un Pinocchio du Web et je vois leur nez s’allonger tous les jours un peu plus...

Propos recueillis par Pierre Laffon

Mise à jour le Lundi, 27 Février 2012 09:52