« Une loi pour une rémunération équitable »

Vendredi, 02 Novembre 2012 10:01 Administrateur
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Questions à Nathalie Collin, présidente de l’Association de la presse d'information politique et générale

 

Expliquez-nous en quelques mots la substance du projet de proposition de loi que vous avez envoyé au gouvernement.

Il repose sur un constat très simple :

La presse et les moteurs de recherche ont besoin les uns des autres pour se développer ensemble, et permettre la diffusion la plus large possible de l’information auprès de tous les internautes, de tous les publics. C’est un besoin essentiel dans nos démocraties.

Le référencement des articles que réalisent les moteurs de recherche remplit une fonction incontestable.

 En revanche, l’indexation que réalisent les moteurs de recherche à l’occasion de référencement, c’est-à-dire l’analyse en profondeur de tous nos articles pour construire leur modèle économique de publicité comportementale et ciblée, constitue, elle, une véritable captation de valeur : l’intelligence des contenus éditoriaux est utilisée à des seules fins de revenus publicitaires.

Notre projet de loi vise à établir une rémunération équitable comme il en existe dans de nombreuses industries culturelles en France (musique pour la diffusion sur les radios…), pour la richesse publicitaire que les moteurs de recherche créent à leurs seuls profits en utilisant les articles de presse. En d’autres termes, les contenus presse deviennent protégés par un droit voisin aux droits d’auteur. Les éditeurs abandonnent totalement cette protection (ils s’interdisent d’interdire le référencement), en contrepartie d’une rémunération équitable pour partager la valeur réalisée par les seuls moteurs sur l’indexation.

 

Pourquoi « taxer Google », comme ce dernier vous le reproche, alors que le moteur de recherche semble être utile au référencement des sites de presse ?

Nous ne cherchons pas du tout à « taxer » les moteurs de recherche. Il n’est pas question de mettre en place une taxe qui serait forfaitaire et injustifiée. Nous demandons une rémunération équitable qui compense le préjudice économique subi par la presse sur le seul terrain publicitaire, et qui permettra à la presse et aux moteurs de recherche de se développer ensemble.

Aucun interprète, auteur ou maison de disque ne peut interdire le passage en radio de la musique. La radio, de son côté, engrange des recettes publicitaires, notamment grâce à l’audience qu’elle réalise sur sa diffusion musicale. Le législateur Français a considéré depuis longtemps que la radio et la musique avaient des intérêts de développement communs, qui passait par une redistribution de la valeur. C’est le principe de la « rémunération équitable ». Nous demandons la même chose entre la presse et les moteurs de recherche.

 

La position de Google est dominante et l’on sait que le moteur de recherche est capable de mettre ses menaces à exécution, comme il l’a fait par le passé en Belgique. Certains parlent de combat perdu d’avance…

Google est effectivement en position dominante (95 % des requêtes, d’après les estimations). Si Google mettait sa menace à exécution, alors il s’érigerait en censeur et déciderait seul des contenus qui doivent être accessibles à l’ensemble des internautes. ll le ferait au mépris de sa mission d’intérêt général de référencement, au seul bénéfice de sa régie, qui est en passe de devenir la première régie de France (dans des conditions fiscales par ailleurs totalement légales, mais foncièrement contestables : rappelons que le chiffre d’affaires estimé de Google en France est de 1,4 milliard d’euros, mais qu’il ne déclare que 138 millions au fisc français et s’acquittent d’un impôt en France de 5 millions d’euros)

Je ne crois pas à la menace du déréférencement : elle ruinerait l’image de Google, et fragiliserait considérablement son modèle publicitaire, qui repose largement sur la fraicheur et la profondeur des contenus presse.

Par ailleurs, il est inexact de dire que Google à déréférencer la presse en Belgique. Ce sont les éditeurs belges qui sont allés devant les tribunaux, sur le terrain de la protection intellectuelle, pour interdire le référencement dans Google Actualités. Les éditeurs ont gagné.

 

Une action à l’échelle nationale n’aurait que peu de chance d’influer la volonté du géant d’Internet qui semble pouvoir se passer du marché français. Que peut-il être fait à l’échelle européenne ?

Le parlement allemand, avec le soutien du gouvernement d’Angela Merkel, examine actuellement un dispositif législatif similaire. Nous avons rencontré les éditeurs italiens qui envisagent aussi une action analogue. Et nous sommes maintenant en contact avec les éditeurs espagnols, belges, suisses…Les initiatives à travers l’Europe se multiplient dans le même sens. Mais déjà, une régulation en Allemagne et en France concernerait le 3ème et le 4ème marchés de Google à travers le monde.

 

Propos recueillis par Joseph d’Arrast


Mise à jour le Lundi, 05 Novembre 2012 08:34