« La nouvelle souveraineté est numérique »

Mardi, 20 Novembre 2012 14:47 Administrateur
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Questions à Pierre Bellanger, fondateur et PDG de Skyrock

 

En quoi la souveraineté de la France et de l’Europe est-elle menacée par l’hégémonie numérique américaine ? Qu’est-ce qui vous a amené à ce constat ? 

La souveraineté est un enjeu permanent que chaque génération a dû relever. Il y a, et il y eut, des souverainetés territoriales, agricoles, industrielles. Aujourd’hui, la nouvelle souveraineté est numérique. La souveraineté numérique est la maîtrise de notre présent et de notre destin tels qu'ils se manifestent et s'orientent par l'usage des technologies et des réseaux informatiques.  Les réseaux informatiques, et leur principale industrie le logiciel, sont le moteur de notre croissance et de notre productivité. En abandonner la maîtrise, c’est se condamner à la relégation. Que restera-t-il d’une nation qui ne maîtrise plus sur les réseaux numériques l’identité de ses citoyens, leur mémoire, leurs relations et leurs transactions ? La réponse est simple : une subordination inacceptable qui captera la valeur de nos industries et de nos services et qui nous soumettra aux impératifs d’autres marchés et d’autres juridictions. J’ai fait ce constat parce que je développe skyrock.com, le premier réseau social de blogs français et européen avec 33 millions de blogs actifs,  c’est le premier réseau social mondial francophone, et que j’ai conjugué une expérience d’entrepreneur avec une réflexion globale sur notre avenir dans un monde numérique. 

Est-ce que ce n’est pas tout simplement la mondialisation le cœur du problème ?

La mondialisation est la montée en puissance d’un réseau mondial d’échanges, une réticulation globale. Cette lecture de la mondialisation par le réseau éclaire d’un jour nouveau ce processus et les forces centrifuges qui l’accompagnent. Elle montre aussi comment les réseaux informatiques sont une des meilleures réponses à cette dynamique transnationale. Le seul moyen de rendre positive la mise en réseau que constitue la mondialisation et pour une nation de s’organiser elle-même en un réseau plus rapide. La diaspora chinoise, la city de Londres, les échanges monétaires par mobile au Kenya, les principaux services Internet le démontrent : seul un réseau plus rapide peut tirer parti d’un réseau global sans être désarticulé par lui. La mise en réseau avec nos propres services numériques est donc un enjeu de survie.

Vous évoquez le « synétat » comme moyen de lutter contre cette hégémonie. De quoi s’agit-il, comment fonctionne-t-il ?

L’État doit se comporter dans l’arène mondiale comme une entreprise en faisant corps avec ses intérêts privés pour former une entité nouvelle, le synétat qui défend ses intérêts et sa croissance. Nous affrontons d’ores et déjà des synétats étrangers redoutablement efficaces.

Repenser la souveraineté pour mieux la conserver, d’accord, mais concrètement, comme cela se traduit-il ? Quelles mesures proposez-vous ? Quels seront les acteurs, les outils ?

Le moteur des services Internet est la captation des données informatiques personnelles de chacun. Pas de moteur de recherche, de vente en ligne, de réseau social, de publicité sans utilisation massive des données personnelles. Ces données doivent être reconnues comme un bien immatériel propriété des personnes qui en sont à l’origine. La captation des données de citoyens européens ne doit pouvoir se faire que sur des serveurs installés en Europe et l’exportation de données personnelles hors de l’Union doit être taxée. Les données informatiques personnelles sont le pivot de l’économie numérique en restituer la propriété aux individus fonde un nouvel écosystème numérique établi sur la garantie des libertés fondamentales : c’est la liberté compétitive, car, en la matière, c’est le respect des libertés individuelles qui nous rendra l’avantage industriel. Cette nouvelle règle du jeu générera une nouvelle génération européenne de services numériques.

Comment incite-t-on les gens à utiliser des outils fait-maison plutôt que des plates-formes américaines ?

Respecter la vie privée et la propriété des données est un atout majeur. Il faut aussi repenser les services Internet à partir de nos réseaux de télécommunications et leurs opérateurs. Nos opérateurs de télécommunication sont des géants de l’Internet potentiels. Il faut que les pouvoirs publics partagent cette vision et articulent autour de ces acteurs majeurs leur stratégie industrielle de l’Internet. La France connaît de grandes réussites numériques dans des environnements concurrentiels absolus. Ces exceptions qui démontrent qu’il n’y a pas de fatalité et ces entreprises doivent trouver maintenant un écosystème numérique qui garantissent leur croissance.

Est-ce qu’il n’est pas déjà trop tard pour la France et pour l’Europe ? Pouvons-nous vraiment rattraper notre retard ?

L’Internet grand public n’a pas trente ans ! L’histoire de l’automobile, à trente ans, ne s’est pas arrêtée à l’innovation de la «traction avant»… Nous pouvons faire de l’Europe, un pôle industriel majeur de l’Internet. Il faut beaucoup d’imagination pour croire que ce n’est pas possible.

Propos recueillis par Joseph d’Arrast

Mise à jour le Vendredi, 23 Novembre 2012 09:07