" Il nous faut instaurer un rapport de force équitable avec les industries électroniques."

Vendredi, 29 Mars 2013 11:23 Administrateur
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Entretien avec Jean-Noël Tronc, directeur général de la SACEM (Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique)

La filière culturelle en général et de la musique, en particulier, est-elle moribonde ?

Je vois beaucoup d’industries qui vont mal dans notre pays, mais certainement pas les industries culturelles. Une étude de 2010 estime leur poids en Europe à 14 millions d’emplois non délocalisables et 860 milliards d’euros de chiffre d’affaires annuel. Soit près de 7% du PIB des 27 Etats membres…

 Quant au secteur musical, les derniers chiffres de l’IFPI indiquent que le marché mondial a atteint 12,6 milliards d'euros en 2012, en progression de 0,3% sur l’année, une croissance faible mais hautement symbolique. La musique est un secteur méconnu en France, qui pèse bien plus que les 600 millions d'euros souvent évoqués qui ne sont que les chiffres du SNEP (syndicat des principaux producteurs de disques). Les ventes de musique enregistrée (physique et numérique) et la billetterie des concerts représentent à elles seules près de 2 milliards d’euros. Si l’on y ajoute les activités liées à la diffusion, comme les radios musicales, à la vente de matériel et d’instruments musicaux ou aux écoles de musique, ce secteur, qui représente la première pratique culturelle des Français, pèse plus de 7,5 milliards d'euros et 278 000 emplois.

Comment faire aujourd’hui pour que les industries électroniques et d’Internet contribuent davantage à la filière culturelle ?

Le premier enjeu auquel la filière culturelle est confrontée aujourd’hui est celle du transfert massif de valeur qui s’opère en Europe depuis une dizaine d’années entre les industries culturelles d’une part et les industries électroniques, informatiques et Internet d’autre part. Nous apprenons à travailler en bonne entente avec ces nouveaux acteurs, avec lesquels il nous faut en premier lieu instaurer un rapport de force équitable. Pour cela, il importe de mettre fin à l’ « exception numérique », par laquelle des secteurs industriels représentés en Europe majoritairement par les filiales de groupes américains et asiatiques bénéficient d'une asymétrie injustifiée de régulation.

L’incident autour de la copie-privée a plus donné l’impression que les créateurs parviennent à tirer leur épingle du jeu au détriment des industriels…

Ce ne sont pas des industriels qui sont concernés, mais des importateurs de matériel électronique qui n’ont aucune activité industrielle sur le territoire européen et pour qui la rémunération pour copie privée représente moins de 2% du revenu. D’ailleurs, les nouveaux barèmes de la rémunération pour copie privée, applicables depuis le 1er janvier, prévoient une baisse des revenus pour les créateurs ! Nous sommes loin des fortes augmentations pronostiquées par ces importateurs, lancés dans une stratégie concertée de remise en cause de cette juste rémunération des créateurs dans toute l’Europe. Dans le même temps, une entreprise telle qu’Apple, qui refuse de payer la copie privée pour certains de ses produits, a annoncé qu’elle redistribuerait 45 milliards de dollars à ses actionnaires et augmenté en début d’année ses tarifs de plus de 10 % sur certains produits.

Quelles réponses peut-on attendre, à cet égard, de la mission Lescure ?

Elle doit proposer de nouveaux mécanismes de partage de valeur et conforter la copie privée, seul mécanisme de redistribution existant actuellement. Nous attendons également de la mission Lescure qu’elle s’attelle à l’enjeu de la régulation des médias. Avec la crise de la distribution, les artistes ont d’autant plus besoin de l’effet prescripteur des médias pour rencontrer leur public, or la diffusion musicale dans les médias est en crise depuis plus de dix ans. Il faut imaginer des solutions nouvelles, comme la mise en place de quotas pour mieux exposer les nouveaux talents, notamment francophones, à la télévision, ou l’introduction d’une régulation des sites Internet « media-like » qui offrent des contenus culturels. L’économie de la culture est de fait une économie de l’offre, et la mise à disposition de l’offre culturelle constitue un enjeu majeur pour les industries culturelles.

Comment la SACEM peut-elle peser sur la mutation numérique qui s’opère au sein de la filière culturelle ? Son rôle est-il à redéfinir ?

Si plus de neuf personnes sur dix, en notoriété assistée, connaissent la Sacem (sondage BVA 2012), ses missions sont pourtant méconnues. Nous ne sommes pas une administration mais la première entreprise privée de musique en France, une coopérative qui appartient à ses 145 000 membres, les auteurs, compositeurs, et éditeurs de musique. L'enjeu est de représenter au mieux ces créateurs face aux multinationales comme Google ou Apple, mais également de proposer de nouveaux services qui permettent une adaptation aux évolutions du marché de la musique : nous avons ainsi été les premiers à lancer une solution technique simple qui facilite l’activité des distributeurs sur Internet en permettant de négocier en un point des licences numériques. Le modèle de la gestion collective est souvent mésestimé, c'est pourtant le modèle le mieux adapté à l’hyper-fragmentation de l’univers numérique.

Propos recueillis par Joseph d’Arrast

Mise à jour le Mardi, 02 Avril 2013 07:53