Faire de l’accès à l’Internet un droit effectif

Mardi, 03 Décembre 2013 16:24 Administrateur
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Questions à Christine Balagué, Vice-présidente du Conseil National du Numérique et membre du groupe de travail sur l'inclusion

Pourquoi avoir utilisé le terme d’ « inclusion » en titre de votre rapport et non pas de «  fracture du numérique » ?

 

Parler d’inclusion numérique plutôt que de fracture numérique constitue le point d’entrée du rapport du Conseil National du Numérique, qui préconise justement un changement d’ambition. Depuis le début de l’Internet, les politiques publiques se sont principalement focalisées sur le développement des infrastructures afin de permettre l’accès à l’Internet dans les territoires. Aujourd’hui, 80% de la population est équipée et connectée, ses usages numériques sont devenus quotidiens, et elle se retrouve face à une multitude de nouvelles technologies et outils qui exigent des apprentissages permanents. Parler d’ « inclusion dans une société numérique » plutôt que de fracture numérique implique que toute la population soit intégrée à cet effort d’apprentissage. 

Il ne s'agit donc plus seulement de se préoccuper des 20% de la population qui n'utilisent pas le numérique, mais de refuser l’accroissement des inégalités, car dans une société devenue profondément numérique, les conditions de l'inclusion sociale et économique sont devenues très différentes pour chacun. L’inclusion numérique pensée par le Conseil national du numérique se définit par conséquent comme l’inclusion sociale dans une société et une économie où le numérique joue un rôle essentiel. De ce changement d’ambition sont nés deux principaux objectifs pour une société plus inclusive. A l’heure où la grande majorité de la population est connectée, le numérique doit être d’une part un vecteur essentiel de réduction des inégalités socio-économiques et d’autre part un formidable accélérateur de transformation individuelle et collective.

Comment vous y êtes-vous pris pour établir un constat et relever les différentes initiatives susceptibles de favoriser l’inclusion ?

Le positionnement du Conseil National du Numérique, en tant que comité consultatif, est d’associer le maximum de parties prenantes à l’élaboration de ses propositions. Au lieu de procéder à des auditions individuelles, le groupe de travail a choisi d’organiser une série de concertations ouvertes, appelées les « vendredis contributifs », rassemblant différents acteurs de l’inclusion. Lors des trois séances collectives organisées, les participants - élus, membres de l’administration, représentant d’espaces publics numériques, fédérations professionnelles, entreprises etc. – étaient invités à soumettre des contributions écrites précisant leur position sur la question, l’ensemble de ces productions étant rendues publiques et intégrées au rapport final. En parallèle de ces rencontres, le groupe de travail a mené un travail d’investigation sur les initiatives existantes.  

Quels sont les secteurs que vous avez identifiés et où les améliorations pourraient être portées ?

Nous avons élaboré sept principales recommandations pour une nouvelle politique d’inclusion,  qui touchent plusieurs secteurs. Nous proposons d’abord de faire de l’accès à Internet et ses ressources essentielles un droit effectif, afin de permettre à tous de pouvoir l’utiliser et de faciliter l’accès aux services essentiels (dont les démarches administratives) par le numérique. Nous défendons aussi l’ambition d’une littératie numérique pour tous, socle indispensable d’une société inclusive, qui se définit comme « l’aptitude à comprendre et à utiliser le numérique dans la vie courante, à la maison, au travail, et dans la collectivité en vue d’atteindre les buts personnels et d’étendre ses compétences et capacités ». Le numérique doit également permettre de renforcer le « pouvoir d’agir » des citoyens, en facilitant leur participation aux initiatives publiques et en développant l’innovation sociale et collective. Nous proposons aussi de réinventer les médiations à l’ère numérique, où de nombreux services (y compris publics) sont difficilement accessibles aux publics fragilisés. Le développement de dispositif d’accès à l’emploi numérique pour ouvrir la porte à 900 000 jeunes à la dérive est aussi une idée forte de notre rapport. Nous proposons enfin de développer la culture numérique des décideurs et de disposer d’indicateurs de suivi de l’inclusion numérique afin d’accompagner et d’évaluer les politiques publiques dans l’objectif de construire une société inclusive pour tous.

Quels sont les leviers qui permettraient d’actionner une meilleure inclusion du numérique ?

Nous avons défini plusieurs leviers d’action pour chacune de nos sept recommandations. Une première idée forte de notre rapport est de consacrer un pourcentage des investissements prévus sur le très haut débit au soutien de politiques favorisant l’accès à internet et  l’accompagnement des usages, peu considérés jusqu’à présent.  L’objectif de littératie numérique pour tous que nous proposons passe par une formation massive au numérique, dès l’enfance, grâce à l’enseignement de l’informatique très tôt, jusqu’à l’âge avancé, via des formations professionnelles. Il s’agit aussi de former les publics exclus, le numérique étant un levier potentiel de transformation de leur vie, ainsi que les enseignants, les formateurs professionnels et les travailleurs sociaux. Concernant le « pouvoir d’agir » des citoyens par le numérique, un programme de co-design des politiques publiques et un Etat-plateforme pour l’innovation sociale et citoyenne seraient source d’inclusion sociale et de solidarités. La réinvention des médiations à l’ère numérique passe par une capitalisation des initiatives et par l’organisation, dans les territoires, de réseaux de lieux partagés. Enfin sur l’emploi, plusieurs dispositifs sont proposés pour une meilleure intégration des métiers du numérique et des compétences nécessaires.

L’inclusion peut-elle débloquer des gisements d’emploi dans les années à venir ?

L’inclusion est justement le moteur de création d’emplois ainsi que de réduction des coûts, dans l’entreprise comme dans l’administration ! D’ici 2015, ce sont près de 400 000 emplois qui seront à pourvoir dans le numérique en France. Nous devons donc accélérer les initiatives pour enseigner l’informatique à l’école, former les enseignants, mailler le territoire de médiateurs, moderniser les initiatives publiques, développer une culture de l’entrepreneuriat et de l’innovation de l’école à l’entreprise et faire du numérique le principal levier de transformation des entreprises.

Le rapport préconise également d’impliquer davantage les décideurs et les élus. Quelles sont vos propositions ?

Les personnes en position de responsabilité, du secteur public et du secteur privé, doivent également changer leur vision du numérique afin d’accompagner plutôt que de subir les effets du numérique dans la transformation de leurs activités et de leur rôle. Le Conseil National du Numérique préconise d’offrir une formation spécifique aux cadres administratifs, aux élus et aux dirigeants d’entreprises sur les enjeux politiques économiques et sociaux liés au numérique, car ce sont les acteurs clés de la construction d’une véritable société numérique inclusive. Le renforcement de cette formation passe aussi par les enseignements dispensés dans les grandes écoles. Le changement d’ambition et de regard sur le numérique ne pourra se réaliser sans une parfaite compréhension des enjeux par les décideurs.                

Mise à jour le Mardi, 03 Décembre 2013 16:38