Droits d’auteur des photographes sur les moteurs de recherche : « il faut une approche juridique et fiscale. »

Mardi, 06 Mai 2014 15:22 Administrateur
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PHMedito 

Questions à Philippe Marini, sénateur de l’Oise et président de la Commission des Finances,

Vous déposez une proposition de loi destinée à protéger les droits numériques des photographes contre les appétits de Google. Quel est le problème soulevé par les géants du net et l’enjeu pour les droits d’auteurs ?

Google est devenu la plus grande agence de publicité du monde en agrégeant une masse toujours plus importante de contenus audiovisuels dont il n’est pas l’auteur. Chacun de ces contenus n’engendre pas nécessairement un revenu publicitaire mais il contribue à enrichir les algorythmes de recherche et à fidéliser les utilisateurs sur toute sa gamme de services qu’il s’agisse d’information (Google news), de vidéos (Youtube) ou de photographies (Google image). L’Allemagne a identifié le détournement de valeur que représente ce marché dans lequel aucune contrepartie n’est reversée aux éditeurs de presse et a légiféré pour créer un droit voisin au droit d’auteur s’appliquant aux articles de presse. D’autres pays s’engagent dans des voies similaires : l’Espagne à l’occasion de la réforme du code de la propriété intellectuelle pour mettre fin à la « piraterie numérique » ; mais aussi hors de l’Union européenne avec la discussion en Israël d’une proposition de loi visant à obliger les moteurs de recherche à verser 7 % de leur chiffre d’affaires sous forme de « royalties » aux fournisseurs de contenus. De son côté, dans le secteur de la presse, la France a privilégié une approche conventionnelle entre éditeurs et Google, ce dernier s’engageant à doter un fonds spécifique de 60 millions d’euros pour trois ans. 

 Naturellement, ce dispositif d’ordre privé est discutable car d’une part il ne doit nullement être considéré comme une politique publique, d’autre part il n’en présente pas les garanties en termes de transparence des critères d’attribution. Au surplus, résultant d’un processus de négociation, il ne concerne que les parties prenantes et laisse à l’écart un volet caractéristique de la création culturelle française : la photographie. En raison de son moindre poids économique la question de l’image fixe est restée en dehors du champ focal de cet accord et de l’activité juridique des sociétés de gestion collectives de droit d’auteur en matière de vidéo.

Que proposez-vous ?

Ces constats « se diffusent » bien au-delà de nos frontières et de la seule matière fiscale. Mes déplacements en Italie, en Grande-Bretagne, en Allemagne et, tout récemment, en Espagne m’ont permis d’identifier des points d’intérêts communs. Nos voisins allemands, par la création d’un droit voisin, suivis maintenant par le Gouvernement espagnol, sur le terrain des droits d’auteurs, se sont focalisés sur la question de la captation de valeur publicitaire des moteurs de recherches sur les contenus éditoriaux offerts par les sites de presse. Cette approche juridique en matière de propriété intellectuelle me semble tout-à-fait complémentaire du volet fiscal car elle présente l’avantage de ne pas être soumise à la règle de l’unanimité des Etats membres de l’Union. Mais le défaut du dispositif allemand est que les éditeurs ont finalement été contraints par Google à renoncer à leurs droits voisins pour continuer à être référencés. Pour y remédier, je propose qu’une entité de gestion collective intervienne dans la négociation et, qu’à défaut d’accord, celle-ci fixe une tarification.

Concrètement, ma proposition de loi vise à remédier au constat selon lequel les moteurs de recherche, dont Google, s’approprient, sans autorisation et sans contrepartie financière, les images diffusées sur Internet et les mettent à disposition du public dans des conditions qui permettent leur reproduction et leur réutilisation, créant ainsi une perte de revenus pour leurs auteurs.

Pour assurer une juste rémunération des auteurs en cas de référencement de leurs images par les moteurs de recherche,  il est envisagé la mise en œuvre d’un système de gestion de droits obligatoire sur le modèle des mécanismes déjà en vigueur en matière de reprographie et de rémunération équitable des artistes-interprètes et des producteurs de phonogrammes (licence légale).

Les différentes étapes :

1.           la publication d’une image sur un site internet entraine automatiquement la cession de son droit de reproduction et de représentation sur un moteur de recherche au profit de sociétés de gestion de droits d’auteur agréées ;

2.           ces sociétés se chargent de négocier des conventions avec les moteurs de recherche pour fixer un barème de rémunération et son mode de calcul ; elles collectent ensuite les redevances pour les reverser aux auteurs ;

3.           en cas d’échec des négociations, les règles sont fixées par une commission paritaire présidée par un représentant de l’Etat et dont les décisions sont publiées au Journal Officiel.

Les modalités pratiques de déclaration et de fixation des barèmes seront fixées contractuellement entre les parties ou, à défaut, par une commission paritaire agréée. A terme, tout moteur de recherche aura des obligations déclaratives et de reversements selon des barèmes fixes. À défaut, il s’exposera à une action en contrefaçon pour reproduction ou représentation illicite.

L’ensemble de ce dispositif est conçu pour s’adresser aux sites web fournisseurs de service afin d’être neutre et transparent pour les internautes.

Quand pensez-vous que votre PPL puisse être examinée ?

Il s’agit d’une piqûre de rappel dans un environnement juridique et fiscal que je souhaite le plus large possible. A cet égard, j’ai noté l’intérêt que porte le gouvernement à ce sujet dans la perspective de l’élaboration du projet de loi sur la création artistique. Peu m’importe le mode de discussion, par voie d’amendement ou d’examen dans le cadre du temps réservé à mon groupe politique, l’essentiel est que ma proposition de loi ouvre cette discussion. Car je rappelle que l’accord entre Google et les éditeurs de presse ne durera que trois ans. Il convient donc d’anticiper et d’étudier sans attendre un dispositif juridique de gestion des droits d’auteurs et droits voisin dans l’économie numérique qui puisse s’appliquer concrètement à toutes les œuvres audiovisuelles.