« Nous ne vivons plus d’innovations de rupture. »

Lundi, 19 Janvier 2015 10:09 Administrateur
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 Questions à Jean-Charles Simon, président de Factamedia

Le CES de Las Vegas met les innovations à l’honneur, mais quel est leur impact réel sur l’économie ?

L’innovation joue un rôle majeur en économie et dans nos vies. C’est elle qui entraîne réellement l’activité, surtout lorsque les facteurs de production capital et travail ont une faible croissance naturelle. Elle stimule l’offre de biens et services, génère de la demande, améliore la productivité des agents économiques.

La période actuelle nous donne l’impression d’une accélération du rythme des innovations, d’une dynamique très forte que des salons comme le CES mettent en évidence. Mais elles arrivent aussi dans notre vie de tous les jours, sur nos ordinateurs et nos smartphones notamment.

Le paradoxe de la période actuelle, c’est que ce sentiment d’innovations permanentes et majeures ne se retrouve pas dans les statistiques économiques. Au contraire, celles-ci montrent plutôt un affaiblissement des gains de productivité.  

Comment expliquer les faibles gains de productivité de ces découvertes récentes ?

Les innovations que nous voyons s’épanouir devant nous sont pour l’essentiel des applications nouvelles ou complémentaires liées à des découvertes fondamentales qui datent déjà d’un certain temps. Internet est une création des années 60 qui a mis environ trois décennies à devenir une technologie globale et grand public. Pareil pour la téléphonie mobile. Ou encore pour la voiture électrique. Il n’y a pas d’inventions très récentes en cours, et beaucoup de scientifiques distinguent même un âge d’or, celui des années 45-75, époque sur laquelle nous continuerions de surfer.

De manière plus concrète, observons que beaucoup de ce qui nous donne le sentiment d’innovation correspond aujourd’hui à ce que l’on catégorise comme de l’innovation incrémentale : la nouvelle version d’un smartphone, une nouvelle application qui est au fond un site internet sous une autre ergonomie. Il n’y a là-dedans que très peu d’innovations de rupture. Et même lorsqu’ils sont disruptifs par rapport à la concurrence, beaucoup de ces nouveaux biens ou services ne font que substituer une nouvelle logistique à l’ancienne, sans changer le produit final et son usage : Amazon remplace une distribution plus classique, mais finalement vous y trouvez les mêmes produits qu’ailleurs, avec une offre souvent plus large et un service différent. La rupture est donc très limitée.

Est-ce une question de cycles d’innovation ou le problème est-il d’avantage d’ordre structurel ?

Cela pourrait être l'un et l'autre. Le cycle d'innovation actuel serait donc largement l'utilisation de progrès fondamentaux réalisés il y a déjà quelques décennies, sans que de nouveaux viennent alimenter des innovations plus disruptives. Il suffirait d'attendre qu'un nouvel épanouissement technologique se dessine. Mais ce tarissement pourrait aussi être structurel, comme l'estiment certains qui considèrent que l'humanité a déjà engrangé les fruits des grandes découvertes fondamentales les plus accessibles, notamment lors de la deuxième révolution industrielle, et qu'elle a moins de perspectives devant elle à présent.

Quelles sont les perspectives pour les années à venir ? Peut-on espérer un retour des innovations de rupture ?

Les théories divergent. Certains parient sur une accélération des innovations, grâce notamment aux progrès de l'intelligence artificielle. Et une partie d'entre eux redoutent même que ces progrès soient tels qu'ils entraîneraient un remplacement inédit des humains par des robots, avec des conséquences sociales potentiellement dévastatrices. D'autres parient au contraire sur la poursuite d'un déclin tendanciel du rythme des innovations, comme par exemple les économistes qui redoutent une stagnation séculaire. Dans cette vision, les progrès seraient très faibles et ne permettraient pas de faire face aux nombreux défis de nos sociétés contemporaines, comme le réchauffement climatique ou le vieillissement. Un point commun peu réjouissant entre ces écoles opposées : tous craignent un accroissement des inégalités, qui serait alors un enjeu social et politique majeur dans les décennies à venir.  

Mise à jour le Lundi, 19 Janvier 2015 10:14