La fibre sans fracture numérique : comment faire ?

Jeudi, 22 Octobre 2009 08:39 Administrateur
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Entretien avec Pierre-Eric Saint-André, Président d’Axione Infrastructures

« Concilier les objectifs des opérateurs, ceux des collectivités et les ambitions nationales de l’Etat ».


Quel regard portez-vous sur les dispositions de la proposition de loi Pintat ?


De notre point de vue d’investisseur en infrastructures numériques, cette proposition comporte des avancées certaines. La planification et la connaissance du territoire sont des conditions indispensables de réussite. Le projet de loi propose des mesures qui permettent cette organisation mais aussi l’identification d’un chef de file et la mise en place d’un fond de péréquation. C’est naturellement très positif. L’équipement homogène des territoires en fibre optique nécessite également une vision nationale et il est donc très important que l’ensemble de ce dispositif de lutte contre la fracture numérique soit arrêté en étroite concertation avec l’Etat. Il faut aller plus loin en élaborant pourquoi pas un schéma directeur national. Les différentes dispositions intégrées à la LME sont en passe de libérer l’investissement privé pour l’équipement de plusieurs millions de prises en zone très dense. Parallèlement à cela, l’Etat, les exécutifs territoriaux et les Syndicats intercommunaux doivent travailler de concert pour « organiser » l’aménagement du reste du territoire.

L’ARCEP a défini trois zones, n’est-ce pas déjà une forme d’organisation du territoire ?

Je n’aime pas beaucoup cette notion de zonage. La pratique est toujours plus complexe. Une ville classée en zone dense, par exemple, comprend toujours des zones blanches. Il ne faut donc pas légiférer sur cette frontière mais la laisser se dessiner en laissant agir les lois du marché. Les opérateurs télécoms doivent avoir toute liberté d’entreprendre les investissements qu’ils jugent opportuns. Deux zones se dessineront naturellement : la zone A où s’exercera une véritable concurrence par les infrastructures entre les opérateurs sans qu’il soit nécessaire pour la puissance publique d’intervenir et la zone B où l’intervention publique sera nécessaire à travers une infrastructure mutualisée, neutre et ouverte.

Il faut donc selon-vous laisser agir les investissements privés ?


Plus précisément, ma position est qu’il faut respecter les lois du marché. Si la collectivité se comporte comme un opérateur télécom et entre dans le jeu de la compétition, elle se trompe. Pour réussir ce pari historique, la complémentarité public / privé est néanmoins essentielle ainsi que la reconnaissance de la spécificité des RIP par le régulateur. L’intervention de la puissance publique doit en effet contribuer à l’efficacité globale du système économique au bénéfice de tous les français, sans pour autant entrainer une distorsion de la concurrence.

Quelle forme peut alors prendre la coopération public / privé pour la couverture des zones non rentables ?

Certains montages permettent de concilier les objectifs des opérateurs, ceux des collectivités et les ambitions nationales de l’Etat. Les Réseaux d’Initiative Publique (RIP), par le biais des PPP (2) ou des DSP (3), permettent de créer un pont entre des volontés qui ne s’opposent pas mais qui sont appelées à se compléter.
Notre expérience d’investisseur dans les infrastructures publiques numériques me fait dire que le RIP est un bon modèle d’intervention. Axione opère 12 RIP dans des zones où les opérateurs ne peuvent pas proposer de modèle économique viable. En 5 ans, ces réseaux (4) ont permis de couvrir 50% du territoire, en complément des investissements privés. Déjà, dans le cadre du haut-débit, nous avons, par ce biais, évité la formation d’une fracture numérique. Ces territoires, le plus souvent des départements, sont maintenant équipés d’un réseau de collecte en fibre, colonne vertébrale essentielle pour l’acheminement du très haut-débit sur la partie terminale du réseau, jusque dans les entreprises et les foyers. Il ne faut donc pas opposer ADSL et THD. Le très haut-débit remplace la haut-débit dans les usages mais il le complète dans les infrastructures. Cette donnée est essentielle pour planifier le déploiement homogène de la fibre.

Dans quelles conditions réglementaires les investisseurs seront-ils prêts à poursuivre leur participation dans les infrastructures publiques numériques ?

Il convient d’abord noter qu’il s’agit de partenariats publics / privés de long terme, de 15 à 25 ans, faisant l’objet d’un subventionnement public de 50% en moyenne.
Répondant à des obligations spécifiques de service public (ex. : couverture des zones blanches, extension du dégroupage…) dans des territoires à faible densité de population, il serait logique que les exploitants de RIP puissent bénéficier d’un statut particulier dans le champ de la régulation afin de ne pas être assimilés à un opérateur comme un autre.
Les modèles économiques associés à ce type de projets sont extrêmement sensibles.
Chaque RIP a bâti son économie sur un contexte réglementaire défini et un environnement marché dont les facteurs de décision d’investissement des opérateurs privés sont mesurables. C’est ainsi que, s’appuyant sur ce constat, le projet commun entre concédant et concessionnaire d’un RIP cherche à aller au plus près des besoins de la population et des entreprises dans un équilibre financier acceptable pour les deux parties à long terme.
Chaque modification réglementaire peut ainsi potentiellement perturber la vision de long terme positivement ou négativement. De manière générale, les décisions réglementaires qui ouvrent ou étendent l’accès à de nouvelles ressources jusqu’alors inaccessibles, sans prendre en considération les RIP, ont des conséquences immédiates sur leur économie et peuvent directement impacter leur rentabilité.
Les RIP sont des outils structurants qui, comme sur le haut-débit, vont à nouveau jouer un rôle majeur dans l’équipement du territoire national en très haut-débit. Il est donc très important de donner une visibilité de long terme aux investisseurs et de préserver des outils qui ont aujourd’hui fait leurs preuves.


(1)    Société d’investissements détenue par le Fonds des Caisses d’Epargne, la FIDEPPP, la Caisse des Dépôts et le Groupe ETDE.
(2)    Partenariat Public / Privé
(3)    Délégation de Service Public
(4)    A l’échelle nationale, 86 RIP sont en construction ou en exploitation pour 2 milliards d’euros d’investissements public / privé

Mise à jour le Jeudi, 22 Octobre 2009 16:45