Eric Hazan : « Nous sommes surpris par ces résultats aussi significatifs »

Mercredi, 30 Mars 2011 13:25
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Un mois après la parution de l'étude de McKinsey sur l'impact d'Internet sur l'économie française, Eric Hazan, Directeur Associé au bureau français de McKinsey & Company, revient sur ce rapport inédit.

Quelle a été l’origine de cette étude ?

McKinsey s’intéresse depuis longtemps à l’impact des TIC (technologies de l’information et de la communication) et des NTIC (nouvelles technologies de l’information et de la communication) sur l’économie, comme en témoignent les travaux internationaux menés par notre institut de recherche économique (le MGI, McKinsey Global Institute) depuis plus d’une dizaine d’années. Grâce à ces travaux et à différentes données publiques, nous avions l’intuition d’une contribution importante d’Internet à l’économie française. Nous avons souhaité aller plus loin et mener une étude globale, appuyée sur une méthodologie robuste et unique afin, d’une part, de donner une vision complète de l’impact d’Internet sur notre pays et, d’autre part, de formuler des pistes d’action concrètes pour maximiser cette contribution.

Quelle a été la méthodologie de votre étude ?

Nous avons souhaité développer une méthodologie originale, robuste et exhaustive à la fois. Nous avons bénéficié dans ce travail de l’appui de l’économiste Christian Saint Etienne, qui a d’ailleurs accepté de signer la préface de notre étude. Concrètement, notre méthode se fonde sur une double approche : une approche macroéconomique pour la première partie, basée sur des données publiques. Nous avons estimé l’impact d’Internet sur l’économie par les trois facteurs classiques : la production, la consommation, les revenus, mais finalement nous sommes appuyés sur la méthode du calcul par la consommation : consommation + investissement  public et privé + balance commerciale. Nous avons ensuite combiné cette approche avec  une approche microéconomique : notamment des recherches spécifiques que McKinsey a réalisées au niveau européen sur les dépenses IT des entreprises et sur les PME sur le marché français. Grâce à ces données, nous sommes parvenus à une mesure  « statique » de l’impact d’Internet (impact sur le PIB) et à une mesure plus « dynamique » (impact sur la croissance). L’un des éléments nouveaux de cette étude est également la mesure de l’impact d’Internet sur les emplois.

Pourquoi mesurer l’impact économique d’Internet ?

Il existe de nombreux rapports sur les TIC, mais il n’existait à notre connaissance aucun rapport spécifique sur Internet. Le principal objectif de notre démarche était d’effectuer une mesure économique de l’impact d’Internet sur l’économie française. Pendant de nombreuses années, la taille d’Internet ne justifiait pas une telle démarche. Aujourd’hui, il apparaît clairement pertinent de mesurer l’impact d’Internet sur l’économie.  

Vous insistez sur le rôle d’Internet pour les PME.

L’impact d’Internet est double : nous montrons bien sûr qu’Internet est un secteur à part entière de l’économie. Mais au-delà, l’un des grands enseignements de l’étude est l’important rôle que peut jouer Internet pour les entreprises et notamment pour la croissance des PME.

Compte tenu de l’importance clé des PME dans le tissu économique de nombreux pays, et notamment en France, nous avons souhaité effectuer un focus sur l’impact d’Internet dans leur développement.  La conclusion est claire : les PME qui ont les meilleures performances économiques sont celles qui ont le plus fort usage et le plus fort taux de pénétration du Web. A partir de ce constat, nous nous sommes posé la question suivante : que se passerait-il si toutes les PME étaient alignées sur ces taux importants d’usage d’Internet ? Dans la mesure où  les PME ayant un fort taux d’usage réalisent deux fois plus de croissance, créent deux fois plus d’emplois et exportent deux fois plus, nous sommes convaincus que, suivant la même logique,  un plus fort usage d’Internet pourrait bénéficier à toutes les PME.

Comment encourager les PME dans leur utilisation d’Internet ?

L’éducation, la formation … : tout ce qui peut aider à une meilleure pénétration des technologies du Web peut être utile, d’autant que la progression peut tenir à peu de chose ! A titre d’exemple, en France 47 %, des PME ont un site Internet alors qu’au Royaume-Uni, elles sont 80 % à en avoir un. 

Si les mesures peuvent être prises par les entreprises elles-mêmes, les pouvoirs publics peuvent également accompagner ces mouvements.  Nous avons identifié des pratiques mises en œuvre par les pays les plus avancés en matière d’usage d’Internet, qui fournissent des pistes d’action. Il appartient aux pouvoirs publics et aux acteurs privés d’en débattre.

Quels genres d’interventions publiques sont possibles ?

Nous avons identifié deux types de pratiques gouvernementales : les pratiques développant l’usage d’Internet pour le grand public comme les programmes de formation des années 2000 en Suède ou en Corée du Sud, et celles visant plutôt à favoriser les partenariats entre producteurs de TIC comme en Israël, au Japon, en Allemagne… En France, des programmes ont été mis en place, tels que « France numérique 2012 » et « le passeport numérique pour les PME » : ce sont des actions qui doivent être saluées, et poursuivies. On peut même réfléchir à aller au-delà, afin de « booster » encore plus le secteur. Sans nouvelles mesures, l’impact d’Internet sur le PIB passerait de 3,7 % aujourd’hui à 5,5 % en 2015. Avec la prise de mesures visant à favoriser son développement, il serait possible d’atteindre 7 % du PIB d’ici 2015.

Les pouvoirs publics avaient-ils conscience de cet impact d’Internet sur le PIB et l’emploi ?

Notre rapport n’est pas spécifiquement destiné aux pouvoirs publics : il a pour vocation de permettre une mesure de la contribution d’Internet à l’économie, afin de poser les bases du débat. Internet est encore souvent considéré comme une innovation technologique alors que notre étude montre qu’il est déjà une filière à part entière de l’économie française. En débutant ce travail, nous avions déjà la conviction qu’Internet avait des effets bénéfiques pour les entreprises, mais j’avoue que nous ne savions pas que nous obtiendrions des résultats aussi significatifs.

Comment le rapport a-t-il été accueilli ?

De nombreuses personnes ont salué la primeur de cette démarche : c’est la première fois que la contribution d’Internet à l’économie était quantifiée ! En termes d’impact sur le PIB, Internet est maintenant équivalent ou supérieur à des secteurs comme l’énergie ou les transports. De plus, le Web a permis une création nette de valeur et d’emplois pour l’ensemble de l’économie. C’est donc notre économie nationale qui est en jeu, naturellement cela suscite plutôt l’intérêt…

Quelle en sera la suite ?

Le sujet est passionnant et mérite d’être creusé. Pour autant, il n’est pas nouveau chez McKinsey : il s’inscrit dans la lignée d’études du MGI en Europe et aux Etats-Unis sur l’impact des nouvelles technologies. Nous avions fait des recherches sur l’IT dans les années 2000 avec le prix Nobel d’économie Robert Solow. Ce sont des sujets que nous continuerons à creuser.

Mise à jour le Mardi, 28 Juin 2011 08:58