Conseil national du numérique et autres débats

Mercredi, 09 Février 2011 14:00
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Objectif atteint pour le Club Parlementaire du numérique en recevant  Pierre Kosciusko-Morizet (PKM) : pas de langue de bois dans les débats. Le tempérament de l'invité, franc et direct, a facilité les choses...   

 

Nicolas Sarkozy cogite. Les acteurs du numérique ont du mal à suivre ce qu’il veut vraiment faire du Conseil national du numérique (CNN). « Ma mission a évolué » avoue Pierre Kosciusko-Morizet. C’est en novembre 2010 que l’idée du CNN a germé. «  Eric Besson m’a alors contacté pour présider une mission de préfiguration de ce CNN  ». Mais entre-temps, l’Elysée a souhaité aller plus vite. Une consultation a été lancée et l’étape de la préfiguration a été « brûlée ». Jusqu’au 10 février, la consultation publique est donc ouverte et ceux qui le souhaitent peuvent envoyer leur contribution sur ce que devrait être le CNN. Une synthèse sera tirée d’où naîtra une vision de la mission, de la gouvernance, du financement et du système des nominations. PKM entretient le mystère sur son propre avenir au sein de ce CNN : le présidera-t-il ? Il tient à se réserver une porte de sortie…

Il a bien entendu son idée sur ce que devrait être l’institution: « un organe resserré, le plus pluriel possible mais qui ne pourra pas être représentatif (c’est impossible d’intégrer des représentants de tous les acteurs du numérique), indépendant de l’exécutif, donnant des avis éclairés de gens qui connaissent très bien le numérique. » Le traitement de la question Internet se fait souvent sous l’angle de la régulation. Selon PKM, le CNN ne sera pas un régulateur mais  avant tout un organe consultatif ; le CNN ne doit pas être un think-tank : « il y a trop d’associations dans le monde du numérique qui proposent des idées ». Mais quand ils veulent consulter la profession du numérique, les parlementaires ne savent pas à quelle porte frapper. Le CNN serait donc là pour donner un avis tranché, en évitant à tout prix « le consensus mou ». Hadopi, Taxe Google, LOPPSI : autant de débats parlementaires qui auraient pu faire l’objet d’un avis préalable du CNN. « Tout projet d’une assemblée, d’un gouvernement, d’une administration ayant attrait au numérique devrait passer par le CNN ». Précisant sa pensée, PKM continue : « L’idéal serait que le CNN n’ait pas à se prononcer contre une loi car il aurait été consulté en amont. » Bref, le Conseil national du numérique remédierait à une carence de dialogue et à un trop-plein de « créativité » du législateur. Une sorte de téléphone rouge entre les décideurs publics et le numérique pour éviter les malentendus... Ce manque de compréhension mutuelle a largement pesé dans le choix de PKM de revendre son entreprise, PriceMinister. Outre la pression des actionnaires, le jeune entrepreneur avoue : « j’ai aussi vendu car j’étais échaudé chaque année de savoir (…) quelle nouvelle loi allait me tomber dessus ». La stabilité juridique est une condition essentielle dans les affaires : « Quand les règles du jeu changent a minima une fois par an, ça rend les choses très difficiles ».  « Entrepreneur sans fortune » car « après avoir acheté des actions de ma société, j’avais une dette de 7 millions d’euros à titre personnel et mon seul actif, c’était une audi A3 à 10 000 euros », PKM a préféré vendre à un Japonais, Rakuten. Il reste à la tête de PriceMinisterpour au moins 5 ans avec pour mission de développer son entreprise en Europe.

 L’harmonisation européenne en question

La fougue de PKM l’empêche de manier la langue de bois. Devant les acteurs du numérique, l’homme est direct et ne s’embarrasse pas de précautions oratoires… Et quand Jean Dionis lance le sujet de l’influence du secteur culturel en France sur les décisions publiques liées au numérique, PKM peut montrer l’ampleur de sa franchise : « l’attitude des maisons de disques est proprement scandaleuse (…) ils ont vendu trop cher pendant longtemps ». Nul besoin d’épiloguer sur son opposition totale à la loi Hadopi… Pessimiste sur l’avenir de l’industrie de la musique, il résume ainsi la situation : « les artistes touchent extrêmement peu sur la vente de leur musique en ligne, les maisons de disques un peu. Finalement seuls Apple et l’Etat Luxembourgeois en profitent ». Du Luxembourg, il en sera question abondamment dans ce dîner puisque l’évasion fiscale en fut l’un des thèmes principaux : « l’évasion fiscale, ça m’énerve en tant que citoyen et en tant qu’homme d’affaire (…) Ebay, mon concurrent principal, parti au Luxembourg en 2005, facture 5% de TVA ; moi 19,6%. Pour la même prestation je suis à 83, ils sont à 95 » Et de s’indigner : « c’est un truc hallucinant ! Le problème de la fiscalité du numérique nous met tous hors de nous ». Il dénonce un manque d’investissement de la classe politique sur ce sujet de la fiscalité du numérique qui selon lui est central. Laure de la Raudière, député (Eure et Loire), lance alors le sujet de la baisse de la TVA à 5.5% sur le marché du numérique. L’avis de l’invité du Club est tranché : la logique est selon lui que sur un service délocalisable et prometteur comme le numérique, on doit baisser la TVA : « c’est juste évident… » A l’inverse, la TVA d’un service non délocalisable, comme la restauration, doit être maintenu à 19,6%. Mais PKM a un fort sens politique et reste lucide : « le gouvernement qui ferait cela ne serait peut-être pas réélu. » Sourire en coin, il ajoute : « c’est difficile de saboter son job tout seul ». Une question de Rémi Bilbault président du groupement français de l’industrie de l’information permet  à Pierre Kosciusko-Morizet de revenir à la source du problème : « pourquoi la France ne prendrait pas l’initiative de la création d’un conseil européen du numérique ? »   La réponse de PKM laisse entrevoir l’ampleur du problème de l’harmonisation des politiques publiques en matière du numérique : « L’Europe du business n’existe pas ». Selon lui, dans la vie d’un chef d’entreprise, l’Europe, «  c’est très théorique car le droit du travail, la fiscalité, le droit des sociétés, sont différents dans chaque pays (…) C’est juste les trois points essentiels pour faire du business de manière simple. » De quoi refroidir les europhiles auto-satisfaits : « L’Europe c’est mieux que rien mais on n’y est pas.» Alors Pierre Kosciusko-Morizet entend-il révolutionner la donne au sein du CNN ? Ce conseil ajoutera-t-il une ligne à la longue liste des comités Théodule ? Benoît Loutrel, directeur du programme Economie numérique au  Commissariat Général à l’Investissement, penche pour cette deuxième option et évoque la multitude des comités consultatifs qui dans le feu de l’action sont consultés mais « qui n’ont jamais empêché que les choses se fassent. » Selon lui le CNN devrait être un comité travaillant les sujets de fonds comme le fait dans un autre secteur le conseil d’orientation des retraites « qui ne tient que par la qualité des rapports qu’il produit ». Surprenante réponse de PKM, lucide et modeste sur son ambition : « Un gros rapport de fonds sur le numérique ne servirait à rien car les lobbies sont à l’action. Dans le problème des retraites si on ne fait rien on va dans le mur ; dans le numérique si on ne fait rien, c’est déjà pas mal… »

Pierre Laffon

Mise à jour le Lundi, 05 Décembre 2011 14:57