Bruno Sido : "Mettre l'aménagement du territoire au cœur du déploiement de la 4G"

Jeudi, 14 Avril 2011 10:58
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Le sénateur Bruno Sido vient de publier un rapport sur la couverture du territoire en téléphonie mobile. Il livre son analyse au Club parlementaire du numérique.

A l’heure où l’on s’interroge sur la couverture du territoire par la 4G, n’est-il pas paradoxal que la France ne soit pas  totalement équipée en 3G et même en 2G ?  

Effectivement, on parle beaucoup de la 4G mais il faut savoir qu’elle n’est pas encore en route, les licences n’étant pas encore vendues par l’Etat. Nous en sommes à la fin de l’établissement de la 2G et en cours du développement de la 3G en France. Il faut donc parler de l’existant avant de parler de l’avenir.  

Concernant la 2G, on se souvient de la proposition de loi sur l’itinérance locale  en 2002 où le gouvernement, prenant le taureau par les cornes, s’était appuyé sur mes travaux et ceux de l’Assemblée nationale pour développer et finir la couverture en 2G du territoire. On s’aperçoit aujourd’hui que la couverture en 2G n’est pas complète puisque, au bas mot, 100000 personnes en France n’ont pas accès à la deuxième génération. Et encore, les critères sont peu exigeants : capter devant le bâtiment public de la mairie, être immobile, tenir une conversation d’une minute au moins. Aujourd’hui, le téléphone portable, c’est en déplacement, en voiture, en marchant, pas  forcément devant la mairie… Donc le nombre de personne n’ayant pas accès à la 2G est de bien plus de 100000 personnes en France. 

Deuxièmement, les attentes de nos concitoyens ont changé. Aujourd’hui, dans des zones touristiques par exemple,  les touristes ont besoin de leurs téléphones portables pour signaler un accident sur un chemin de randonnée par exemple… 

 Troisièmement, plus de la moitié des usages du portable concerne la transmission de données (SMS ou Internet) et non pas de voix…

"Deux visions s'opposent : celle de la rive droite, Bercy et celle de la rive gauche, la DATAR"

La 3G est en cours de développement mais comme on se sert des mêmes pylônes que pour la 2G, il y aura les mêmes zones blanches ou grises. Le problème c’est que ces licences ont été vendues avec un cahier des charges qu’on ne peut pas modifier. C’est pourquoi, pour le cahier des charges de la 4G il faut exiger une couverture quasi intégrale du territoire. Là deux logiques s’opposent : celle du gouvernement, maximiser l’enveloppe qu’il récupérera dans les licences 4G (moins le cahier des charges sera exigeant, plus l’argent récupéré par l’Etat sera important) et celle de l’ARCEP, l’aménagement du territoire (plus le cahier des charges sera volumineux et exigeant en terme de couverture du territoire, moins le montant des licences sera élevé…) Il y a donc opposition, entre la rive droite, Bercy et la rive gauche, la DATAR (la Délégation interministérielle à l'Aménagement du Territoire et à l'Attractivité Régionale)… Il faudra trouver le bon équilibre et il est encore temps  car le gouvernement va mettre en vente les licences dès le mois de mai. Il est urgent de faire en sorte que le cahier des charges de la 4G comporte une forte amélioration par rapport à la 2G ou la 3G pour lesquelles on ne peut plus changer grand-chose mis à part quelques détails. Il est encore temps avec la 4G d’améliorer la couverture du territoire.

Quelle est la situation de la France par rapport à ses voisins européens ?

On ne peut comparer que des choses comparables. En France, les 80% de Français qui habitent en ville s’attendent à ce que, lorsqu’ils partent en week-end, le portable marche, là où ils vont… Bouygues Télécom l’a bien compris en couvrant toutes les côtes françaises et les stations de ski. La France est ainsi faite qu’elle a besoin d’une couverture intégrale. Avoir une couverture intégrale en Angleterre c’est facile et rentable pour les opérateurs. Même chose pour la Hollande où la population est dense sur un territoire plat. Le relief de la France et la faible densité en milieu rural rendent le développement des réseaux de téléphonie plus onéreux. Atteindre l’objectif de couverture intégrale est un objectif plus difficile en France qu’ailleurs. 

Les critères utilisés par l’ARCEP pour savoir si un territoire est couvert semblent dépassés. Même si théoriquement les zones blanches décroissent, en pratique le territoire n’est pas totalement couvert. Quelles sont vos propositions pour que les collectivités s’entendent avec les opérateurs ?

Les choses avancent. Il y a les critères du cahier des charges d’un côté (évoqués plus haut, capter devant la mairie…) et les critères de l’Arcep qui regarde de plus près quelles sont les populations couvertes et non couvertes. Les cartes de l’Arcep sont très  précises mais ses critères sont un peu théoriques. L’Arcep en a conscience. On fait des cartes théoriques de couverture, mais la couverture n’est pas une science exacte : influence du relief, saisons (les feuilles des arbres par exemple peuvent perturber le réseau) etc... Ces cartes théoriques ne reflètent pas totalement la réalité. Je n’accuse pas les opérateurs qui sont de bonne foi mais qui s’appuient sur des cartes au 50 millième. Je propose qu’on utilise des cartes plus précises, au 25 millième (cartes d’Etat-Major). L’ARCEP propose que, là où il y a une mauvaise couverture, les acteurs locaux (maires, citoyens…) signalent les zones blanches pour qu’elle vienne faire des mesures. Je propose aussi cela dans mon rapport.

"Faire un plan du maillage du territoire dès le départ du déploiement de la 4G plutôt que de « bidouiller » en rajoutant quelques pylônes ensuite "

Les expériences de la 2G et de la 3G  vont-elles servir à éviter des erreurs dans le déploiement de la 4G ?                                                                                   

Je crois que oui car l’utilisation du téléphone portable augmente très rapidement. Il y a donc un marché sur lequel les opérateurs ne peuvent répondre que présent…  Le basculement de la voix vers l’échange de données va s’amplifier ce qui appelle le développement de la 4G. Plus le marché sera important plus les prix des équipements baisseront. Deuxièmement, en ce qui concerne la couverture du territoire, c’est la question du dividende numérique : il y a désormais des fréquences disponibles qui seront affectées à la téléphonie mobile et qui ont l’intérêt d’avoir une plus grande couverture des territoires ruraux. Il faut prendre en compte l’aménagement du territoire de façon intelligente pour la 4G ; que l’on fasse un plan du maillage du territoire dès le départ plutôt que de « bidouiller » en rajoutant quelques pylônes ensuite. Si on a dès le départ l’objectif d’aménagement du territoire, on fera des économies d’échelles et on aura un meilleur réseau. Bien sûr on se servira des pylônes actuels mais il faut avoir dès le départ cet objectif d’aménagement du territoire.

 Vous avez commencé un travail de resensibilisation des pouvoirs publics concernant les zones blanches.

J’ai déposé un amendement sur une proposition de loi déposée par mon collègue Daniel Marsin. C’est un « amendement d’appel » voté à l’unanimité  qui consiste à dire : « Ne nous racontez pas d’histoire ; vous nous dîtes qu’il y a 99…% du territoire de couvert mais 100000 personnes sont exclues ». Parmi ces personnes exclues il y a d’ailleurs beaucoup de professionnels : des médecins, des entrepreneurs, des architectes qui ont besoin de leur téléphone mobile. Il faut prendre en compte ces personnes et celles qui seront amenées à aller dans ces zones là puisqu’on parle de mobilité, il ne faut pas l’oublier…

Mon amendement était un appel au secours mais j’ai conscience de son infaisabilité politique (notamment pour des problèmes d’inconstitutionnalité). Il tend à reconnaître la téléphonie mobile comme un service universel. Il pourrait l’être dans un territoire qui part de rien et qui n’a pas de téléphonie fixe (d’ailleurs le téléphone mobile marche mieux dans certains pays en voie de développement car ils ont commencé par ce réseau). Mais en France, je comprends qu’il ne peut pas y avoir de service universel car cela rendrait le prix des licences négatifs (c’est-à-dire que l’Etat devrait payer les opérateurs pour qu’ils installent leurs réseaux). C’est donc un amendement d’appel qui a été bien entendu par le gouvernement et l’Arcep. Maintenant, j’espère que la loi sera mise à l’ordre du jour de l’Assemblée.

"Quant aux antennes, c’est indiscutable, là où elles sont le moins dangereuses c’est à leurs pieds"

Paradoxe : les Français exigent une couverture intégrale du territoire mais ne veulent pas des antennes-relais…

Oui, c’est un peu contradictoire mais c’est la nature humaine d’être contradictoire… On veut à la fois les avantages et pas les inconvénients ; encore faut-il démontrer scientifiquement le danger des antennes-relais. Ce qu’il y a de curieux, c’est que nous Français cartésiens on ne veut pas entendre des raisonnements cartésiens. Les scientifiques vous démontreraient : 1/ Que les dangers des pylônes ne sont pas démontrés ; 2/ que si danger il y a, ce danger viendrait plutôt du portable (car le portable est une antenne aussi). On sait que plus le portable est éloigné de l’antenne, plus il « travaille » de manière puissante et plus il y aurait risque. Quant aux antennes, c’est indiscutable (il n’y a pas de besoin de colloque sur la question), là où elles sont le moins dangereuses c’est à leurs pieds… Pour vous en convaincre monter au quatrième étage de la Tour Eiffel, qui a des antennes à son sommet, le téléphone mobile y marche mal ou pas ! Le lobe d’émission est plus faible au départ. Pour être provocateur, les antennes mobiles, c’est pas à 100 ou 200 mètres des maternelles qu’il faut les mettre, c’est sur les maternelles. Deuxième « provocation » : il faut multiplier les antennes relais pour limiter le « travail » des portables. C’est ça la réalité scientifique : allez la faire comprendre… J’ai conscience que c’est provoquant et que pour faire passer cette idée, il faudra prendre beaucoup de précautions oratoires… 

 

Mise à jour le Jeudi, 21 Avril 2011 13:12