« On a maintenu de force un système anachronique vis-à-vis du reste de l’Europe. »

Mardi, 22 Janvier 2013 14:05 Administrateur
Imprimer

 Questions à  Marine Pouyat, reponsable aux affaires juridiques, ex-représentante de la FEVAD au sein de la Commission "copie privée"

 

Pourquoi cette démission en bloc en novembre ?

La décision de démission a été murement réfléchie et ce n’est que contraint par la gravité  et l’urgence de la situation que la FEVAD  a décidé de s’associer aux quatre autres organisations professionnelles représentants les fabricants de supports assujettis à la copie privée pour démissionner de la Commission copie privée.

A de nombreuses reprises des alertes ont été adressées au sein de la Commission copie privée, comme auprès des pouvoirs publics pendant plus d’un an sans que la situation ne change. Ne voulant plus être complices des décisions de la Commission, la démission s’est donc imposée à nous.


La première raison de notre démission est l’inadéquation du système de copie privée français avec le droit européen.

En effet, celui-ci date de 1985 et n’a été pas adapté pour tenir compte de l’évolution législative européenne : la Directive 2011/29/CE du 22 mai 2011.

Si de 1985 à 2001, le régime de la copie privée était difficilement contestable, à compter de  l’adoption de la directive, le cadre français aurait dû être harmonisé.

Les évolutions n’étaient pas négligeables :

-        Le texte de la Directive ne parle pas de « rémunération », mais de « compensation ».

La Directive assigne à ce « prélèvement » la nature d’une indemnisation de responsabilité civile.  C’est le dédommagement dû à la victime (artiste, ayant droit) par l’auteur de l’atteinte (celui qui se trouve investi de la faculté de copie privée).

Bien plus qu’une évolution lexicale, ce changement impliquait une évolution de régimes d’évaluation : ce ne peut être que le préjudice qui est indemnisé.

Ce n’est donc plus une approche en termes de « besoin » ou de « salaire » qui devait prédominer (comme un créancier alimentaire), mais une approche aimantée par la mesure du « préjudice subi », qui doit être comparable d’un Etat à un autre.   

Or, le régime français issu de la loi Lang n’y est pas adapté.

-        Dans cette logique de responsabilité civile, les redevables d’une indemnisation ne peuvent être que les « auteurs » directs du préjudice. C’est ainsi que l’article 5-2 b) de la directive précise que l’assujetti ne peut être que la « personne physique (achetant un support destiné) à un usage privé ».   

La directive ne prévoit pas de faire payer une autre personne, notamment une personne morale et/ou une personne achetant à finalité professionnelle.

Or, le régime français issu de la loi Lang n’y est pas adapté.

-        Toujours dans cette logique de responsabilité civile, l’indemnisation de copie privée ne peut bénéficier qu’à la « victime » directe du préjudice (ex : Madonna, pour la copie d’un album de Madonna) et ne peut pas être destinée au financement de toute personne tierce (un chanteur argentin, un festival normand, une manifestation dijonnaise …), qu’elle soit adhérente d’un syndicat d’ayants-droit ou qu’elle ne le soit pas.

Or, le régime français issu de la loi Lang n’y est pas adapté.

L’article 13 de la directive prévoit un effet impératif au plus tard le 22 décembre 2002. Cela signifie que depuis le 23 décembre 2002, le cadre obligatoire de la directive aurait dû présider au régime de la copie privée.  C’est une conséquence de la supériorité des directives dans notre système juridique (articles 55 et 88-1 de la Constitution) et de l’effet utile dû au droit communautaire.

A ainsi été maintenu de force en France un système anachronique en Europe, qui surestime le montant de l’indemnisation de copie privée par rapport à nos voisins.

Au final, la France est championne d’Europe des prélèvements au titre de la copie privée : la redevance par habitant est de 2,60 euros en 2011 contre une moyenne européenne de 0,70 euros. La simple constatation de disparités des tarifs sur le marché des CD vierges et DVD vierges est parlante :

Par exemple, le montant français pour un CD vierge est 3 fois plus élevé qu’en Belgique, 12 fois plus élevé qu’en Allemagne. Celui pour un DVD vierge atteint un poids de 800% de son coût de revient. Pourtant et par définition, le préjudice subi par l’acte de copie privée d’un album de Madonna devrait être comparable, que l’acte de copie survienne à Paris, à Bruxelles ou à Berlin.

Cela provoque un trouble sur le marché, en disqualifiant l’offre française et en causant de toute pièce un marché gris. Le commerce électronique est le premier impacté par le marché gris, car les consommateurs français ne sont qu’à « quelques clics » des sites étrangers.

Déjà en 2007, selon une étude européenne (EICTA), 57% des Français achetaient leurs DVD vierges à l’étranger, à cause du montant de la copie privée française, qui à l’époque représentait deux fois le prix du produit. Aujourd’hui, sur ce même produit, elle représente 6 fois le prix du produit.

En 2012, selon le baromètre FEVAD-Médiamétrie//NetRatings relatif aux comportements d’achats multicanaux des internautes 27% des cyberacheteurs ont acheté des produits ou services sur un site marchand étranger. Ce chiffre est en hausse de 2 points sur un an.

La principale motivation d’acheter à l’étranger est le fait que le prix du produit était moins cher et la première catégorie de produits achetés sur des sites étrangers sont les produits High-tech généralement soumis à copie privée.

La situation est absurde, car cette attractivité de l’offre étrangère préjudicie à tous qu’ils soient distributeurs français (privés d’un flux d’activité), aux pouvoirs publics (TVA sur le flux d’activité) et mêmes aux ayants droit (car Copie France n’effectue pas de perceptions sur ces flux de copie privée étrangers…)

La deuxième raison est liée au système de gouvernance de la Commission copie privée.

La Commission est en effet composée pour moitié de représentants d’ayants droits (12) pour quart de représentants de consommateurs (6) et pour le quart restant de représentants des fabricants et importateurs des supports assujettis (6) plus d’un président nommé par les ministères.

Les ayants droits ont la majorité et peuvent donc imposer sans que ni les représentants des consommateurs ni les professionnels ne puissent faire entendre leur voix lors de l’adoption par vote des décisions de la commission.

Les décisions n’étant pas équilibrées, ont fait l’objet systématique de recours devant le Conseil d’Etat et  ont été annulées. De ce fait, les pouvoirs publics ont été obligés de faire adopter une loi en urgence fin 2011 pour maintenir le système. Malgré de nombreux et répétés appels des parlementaires pour refondre en profondeur la redevance pour copie privée, rien n’a été fait.

La dernière raison, qui est la conséquence des deux premières, est le risque d’adoption de nouveaux barèmes totalement déséquilibrés et pénalisant les consommateurs français.

Avant notre démission du 12 novembre dernier,  les barèmes proposés par les ayants droits, publiés par certains sites spécialisés de presse en ligne, prévoyaient une hausse de 156 % sur une tablette d’une capacité de 32Go et de 327% sur une tablette d’une capacité de 64Go, portant ainsi le montant de la redevance respectivement à 25,6€ et 50,2€ hors taxe.

Certains ex-représentants ont l’intention de déposer un recours devant le Conseil d’Etat. Quelle forme prendra votre action?

La FEVAD n’a pas déposé de recours devant le Conseil d’Etat. Elle est néanmoins solidaire des actions entreprises par d’autres organisations professionnelles. Certains des adhérents de la FEVAD ont choisi de faire des recours devant le juge judiciaire (TGI Nanterre 2 décembre 2011) et pourraient faire un recours devant le juge administratif.

Est-ce tout le mécanisme des barèmes des rémunérations qu’il faut repenser ?

Le mécanisme des barèmes devra être changé lorsque le système sera conforme au droit européen. Les barèmes seront alors le reflet d’une compensation d’un préjudice dû au manque à gagner consécutif à l’acte de copie privée.

Quels espoirs portez-vous sur la mission Lescure ? Pensez-vous que ses conclusions puissent faire bouger les lignes ?

La mission confiée à Pierre Lescure est bien plus vaste que la question de la copie privée puisqu’elle a pour objet l’exception culturelle française au travers d’une concertation sur les contenus numériques et la politique culturelle à l'heure du numérique.

Il est donc possible que les conclusions de cette mission impactent le système de la copie privée. Toutefois, il nous parait impératif de mener une réflexion spécifique sur le sujet dans les meilleurs délais pour régler une situation de crise. Et lancer enfin une réforme profonde adaptée au droit européen et aux nouveaux usages numériques.

Je voudrais rappeler que la FEVAD n’est pas opposée au système de copie privée. Elle réclame l’application du droit européen et une harmonisation nécessaire à une juste concurrence du marché des supports assujettis.

Propos recueillis par Joseph d’Arrast

Mise à jour le Vendredi, 25 Janvier 2013 16:09