"Taxe Télécoms : Bruxelles lance une procédure d’infraction contre la France" : Entretien avec Yves Le Mouël, directeur général de la Fédération Française des Télécoms

Mercredi, 03 Février 2010 08:32 Claire
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« Il n’y aura de victoire pour personne et du temps perdu pour tout le monde »

Quelle est votre réaction suite à l’avis négatif rendu par la Commission européenne au sujet de la taxe Télécoms, destinée à compenser le manque à gagner de France-Télévisions ?

Nous sommes satisfaits dans la mesure où l’avis de la Commission fait suite à la plainte que nous avons déposée début novembre auprès de la Direction générale « Société de l’Information ». Le constat de base est clair : cette taxe est incompatible avec la directive 2002/20 (1) qui stipule que les opérateurs de communications électroniques ne peuvent être taxés que pour faire face aux charges administratives de régulation de leurs activités. Nous avons fondé notre plainte sur la jurisprudence Albacom de 2002, confirmée par quatre arrêts successifs de la CJCE (2). Le terrain juridique n’est pas favorable à cette taxe. Nous en avions averti le Gouvernement, le Parlement et la Commission Copé sur le financement de la TV publique. 

 

La Commission européenne a fait valoir que cette taxation frappe un des moteurs de la croissance, impliqué dans le déploiement des réseaux haut et très haut-débit. En quoi sa suppression serait-elle un signal favorable pour le déploiement des réseaux ?

En dehors du fait que cette taxe soit illégale, la Commission fait effectivement valoir des arguments politiques. Comment taxer les opérateurs, les privant ainsi de capacités d’investissement, et défendre en même temps l’accès à Internet comme droit fondamental ? Au plan macroéconomique, l’instance européenne maintient que le choix de taxer les acteurs principaux de la croissance est inopportun et le choix du gouvernement espagnol, qui a pour ainsi dire décalqué la loi française, a contribué à éveiller sa méfiance. Elle reproche en définitive à cette taxe d’être contre-productive pour l’économie.

Une taxe de 0,9% de leur chiffre d’affaires …les opérateurs sont-ils à ce point privés de capacités de financement… ?

0,9% du chiffre d’affaires, cela correspond, en année pleine, à un montant d’environ 350 millions d’euros soit l’équivalent de 300 000 prises optiques nouvelles. Sur un cumul de trois années, un milliard d’euros est en jeu. Il s’agit donc d’une somme tout à fait substantielle et la suppression de la taxe serait à ce titre bien plus qu’un simple signal positif. Nos opposants arguent souvent que 350 millions constituent une somme raisonnable au vu des quelque 43 milliards d’euros de chiffre d’affaires du secteur. Mais ce raisonnement est faussé. Il faut rapporter le montant annuel de la taxe au montant des investissements et non au chiffre d’affaires. Elle représente à ce jour près de 6% du montant des investissements, ce qui est très important.

Pensez-vous que l’Etat maintiendra sa taxe en tentant de la justifier devant la CJCE ?

Je ne peux pas savoir quelle va être la réaction des pouvoirs publics. Mais il est certain qu’il n’y aura de victoire pour personne et du temps perdu pour tout le monde. Le Gouvernement a deux mois pour justifier le bien-fondé de cette taxe. Passé ce délai, la Commission décidera si elle instruit ou non une procédure en manquement contre le Gouvernement. Elle saisirait alors la CJCE qui poursuivrait l’instruction sur la base du manquement d’Etat. Mais quoiqu’il en soit, rien ne peut aboutir avant 18 mois. Si la CJCE confirme la jurisprudence, l’Etat devra rembourser de fortes sommes aux opérateurs. Ce sera du temps perdu pour l’investissement de long terme à cause d’une stratégie de court terme.

 Propos recueillis par Armel Forest

(1) Cf. Article 12.
(2) Cour de Justice des Communautés Européennes.

Mise à jour le Mercredi, 03 Février 2010 16:05