Club Parlementaire du numérique

  • Increase font size
  • Default font size
  • Decrease font size
Home Telecom « Tôt ou tard, les concurrents de Free auraient fini par annoncer des plans de réduction d'emplois. »

« Tôt ou tard, les concurrents de Free auraient fini par annoncer des plans de réduction d'emplois. »

Envoyer Imprimer PDF

 

Questions à Augustin Landier, professeur à l'Ecole d'Economie de Toulouse, et David Thesmar, professeur à HEC, tous deux auteurs d’un rapport sur l’impact macroéconomique de la licence Free sur le marché des opérateurs de téléphonie mobile

Quelles sont les prévisions de votre étude ? Sur quel calendrier s’échelonnent-elles?

Nous examinons les effets sur l’emploi de l’attribution de la quatrième licence mobile, qui a augmenté la concurrence dans la téléphonie mobile. Il y a deux effets positifs: un effet de demande à court terme, et un effet « classique » à long terme. A court terme, la baisse des prix du mobile rend du pouvoir d'achat aux ménages qui consommeront davantage, stimulant l'activité et les créations d'emploi dans l'économie. C'est un effet keynésien, un peu comme quand l'Etat relance l'activité en faisant du déficit. A moyen terme, la baisse des prix du mobile a aussi l'effet  d'améliorer la compétitivité de l'économie: les entreprises dépensent moins de ressources pour financer leurs communications, ce qui en libère pour d'autres activités qui les rendent plus productives. Cet effet est un effet de long terme, type "choc de compétitivité", et met, disons, 3-5 ans à se matérialiser.

Ce pouvoir d’achat supplémentaire bénéficiera-t-ils aussi aux télécoms ou bien à d’autres secteurs ? Lesquels ?

Le rapport  se concentre sur les retombées sur l'économie française dans son ensemble. Nous parlons peu des télécoms qui subissent, outre l'arrivée de Free, des évolutions technologiques et organisationnelles spécifiques. Ce secteur se restructure dans tous les pays développés. Tôt ou tard, les concurrents de Free auraient fini par annoncer des plans de réduction d'emplois. L'effet direct de la concurrence dans les télécoms est d'augmenter les quantités vendues (2.5 millions de cartes SIM supplémentaires depuis Free), ce qui est bon pour l’emploi, mais sans doute petit comme effet. C'est surtout hors télécom que les bienfaits de la concurrence se déploient. Les secteurs bénéficiaires sont avant tout les secteurs qui comptent beaucoup dans la dépense des ménages, et ceux qui sont protégés de la concurrence internationale et intensifs en emplois: agroalimentaire, services à la personne et aux entreprises, hôtellerie restauration.

Ce sont des prévisions plus optimistes que celles de Bouygues Télécom ou de SFR…

Elles sont raisonnables. Faisons un calcul simple: la baisse de 10% de la facture mobile – qui a déjà eu lieu  – libère chaque année 2 milliards d'euros de pouvoir d'achat pour les ménages, soit l'équivalent de 0.1% du PIB. Ces 0.1% de PIB supplémentaire, il faudra les produire en augmentant l'emploi de 0.1%, soit environ 16000 emplois. Les modèles que nous utilisons sont évidemment plus subtils, tiennent compte de la concurrence internationale, de l'épargne, etc. Mais les ordres de grandeur sont ceux-là.

Le cœur du problème est que, dans cette affaire, les perdants sont bien identifiés (les actionnaires des concurrents de Free) et les gagnants très dispersés. Comme le regain de consommation est un effet qui s'applique à l'ensemble de l'économie, il est, quand on fait l’addition, assez important.

Quelles sources et quelles méthodes avez-vous utilisé pour parvenir à ces conclusions ?

Pour l’essentiel, nous utilisons des données de l'INSEE, qui permettent de savoir comment se compose la dépense des ménages dans les divers secteurs, d’évaluer la fraction des biens de chaque secteur produite en France et l’intensité en emplois  dans ces secteurs. Nous utilisons aussi les données de l’ARCEP et les rapports annuels des entreprises. Toutes ces données sont publiques. A partir de là, nous utilisons deux modèles simple de l'économie (un néoclassique pour le choc d'offre, et un keynésien, pour le choc de demande) : ces modèles sont totalement explicités dans l’étude.

Comment assurer une crédibilité à votre étude sachant qu’elle est commanditée par Free et que, contrairement aux rapports précédents, vos conclusions lui sont favorables ?

Contrairement à ce que pensent certains, nous ne sommes pas en économie dans un monde post moderne, où tous les points de vue se valent. L'intégralité des études empiriques publiées dans des revues scientifiques sur l'effet de la concurrence montre que la concurrence baisse les prix, les dividendes des actionnaires, améliore l'offre; la majorité des études montre un effet positif sur l'emploi et la croissance. Au pire, l'effet sur l'emploi est faible, voire nul, mais jamais négatif.  L'intuition est simple : la concurrence permet d'augmenter les quantités vendues en baissant les prix, et permet donc aux ressources et aux dépenses de l'économie de se router vers les secteurs où elles sont le plus utiles à la croissance et à l'emploi. Ce rapport ne fait que quantifier ces effets, en utilisant des modèles très standards. Pour le dire autrement, Free a commandité un rapport pour documenter une évidence bien connue des économistes. C’est en fait cette inversion de charge de la preuve qui est étonnante : une entreprise doit faire appel à des économistes pour expliquer que baisser les prix n’est pas nuisible ! Ceci dit, la quantification, issue de nos modèles, repose sur des hypothèses, et notre chiffrage peut être sensible à certaines hypothèses. L'avantage de notre approche est que ces hypothèses sont explicites, que notre rapport est disponible en ligne (sur nos sites web personnels). Même si ces hypothèses nous semblent raisonnables, une discussion rationnelle et non-idéologique peut donc s'engager.

Propos recueillis par Joseph d’Arrast

Mise à jour le Mercredi, 05 Décembre 2012 09:02  

Accès Membres

Vidéos