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Home Telecom “L'Etat a un rôle d'exemplarité et d'inspiration dans la transformation numérique”

“L'Etat a un rôle d'exemplarité et d'inspiration dans la transformation numérique”

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janin

Entretien avec Lionel Janin co-auteur de la note de France Stratégie « Tirer parti de la transition numérique », Plate-forme collaborative : Francestrategie1727.fr

Quelle a été votre méthode ?

Nous avons souhaité interagir avec notre public dans une démarche de concertation. La démarche essai - erreur, expérimentation est fondatrice dans le numérique. De nombreux acteurs essayent des solutions, redéfinissent leur offre. Beaucoup d’idées sont proposées. Nous avons besoin d’expérimenter les différentes solutions proposées par le numérique en effectuant l’arbitrage entre réactivité face à l’innovation et protection des citoyens ou des acteurs. La question est politique : où met-on le curseur ? Quel rapport a-t-on vis-à-vis d’une transformation rapide, qui fait courir le risque que des acteurs se placent dans des interstices de la loi ? Il doit y avoir un débat démocratique sur ces questions.

On a l’impression que le numérique fait l’objet de beaucoup d’attention des pouvoirs publics ; création du label French Tech, déplacement des ministres aux événements mondiaux comme le CES de Las Vegas, soutien de BPI France aux start-ups, soutien affiché à la filière, …et malgré cela vous décrivez un numérique français en petite forme comparé à nos voisins européens. Est-ce à dire que les pouvoirs publics ont peu d’emprises sur le développement du numérique et que le volontarisme politique ne fonctionne pas dans ce domaine ?

Le constat qui est fait d’un retard français remonte à longtemps. L’augmentation d’attention de la part des pouvoirs publics en revanche est un phénomène relativement récent. C’est pourquoi le décalage observé entre les initiatives et les résultats n’est pas étonnant, et n’est pas un signe d’efficacité ou d’inefficacité des actions actuelles.

On peut tout de même observer que le rôle de l’Etat est modifié. Les transformations numériques beaucoup plus décentralisées et bottom up, sont le fruit d’initiatives venant des acteurs eux-mêmes. L’économie collaborative en est un bon exemple. Plusieurs personnes assurent un service de transport par opposition à une ligne de chemin de fer décidée, construite et planifiée sur des horizons longs. A partir du moment où ces outils numériques vont utiliser beaucoup cette forme décentralisée, quoiqu’il arrive le rôle de l’Etat sera moindre dans la définition fine du service. De même, les questions de labellisation, de diffusion de l’information se posent moins qu’avant, lorsque l’Etat avait une forme de monopole naturel. L’Etat, a un rôle de chef d’orchestre qui reste significatif. C’est pour cela que le choix a été fait de donner de la visibilité à l’écosystème français. La démarche de la French Tech s’appuie sur des écosystèmes plutôt que directement sur de la production, ce sont donc bien des formes de décentralisation qui sont mises en œuvre.

L’Etat s’est adapté à la façon de faire du numérique et a respecté les ressorts qui en font son succès.. Ses initiatives autour de l’open data (la mise à disposition des données pour que d’autres agissent), l’institution d’un administrateur général des données, la French Tech, la mise en avant du numérique vont donc dans le bons sens. Le rapport au numérique a changé au cours des dernières années, dans la diffusion et le fonctionnement des administrations publiques. Mais il y a encore beaucoup à faire par rapport aux pays les plus avancés. Si l’on prend l’ensemble de la production de différents services publics on est encore à très petite échelle. C’est donc la question de la diffusion qui se pose. L’Etat a un rôle d’exemplarité et d’inspiration dans la transformation numérique, important pour motiver les différents acteurs. C’est une transformation qui concerne aussi nos grands groupes traditionnels privés qui obéissent en quelque sorte aux mêmes modèles que ceux de l’action publique. On observe une transformation dans leurs organisations avec l’apparition des chief digital officer ou chief data officer dans les organigrammes. Le mouvement est bien en cours. Mais la grande question sera d’assurer la diffusion de cette transformation. C’est cette généralisation encore peu réalisée qui a donné lieu à notre constat de retard dans les usages numériques dans les entreprises et les organisations.

Vous déplorez une diffusion insuffisante des savoir-faire numériques dans l’entreprise ralentissant les décisions d’investissement et des projets innovants. La solution réside-t-elle dans une plus grande flexibilité réglementaire et dans plus d’incitation fiscale ou est-ce culturel ?

Dans la note nous ne répondons pas à cette question. Nous avons déjà eu des échanges avec un certain nombre d’acteurs mais ils n’ont pas permis d’élucider complètement les raisons profondes de ce retard. Il peut y avoir des éléments culturels, un déficit de formation à ces questions. Ce qui est frappant c’est qu’il y a des questions où, de fait, une flexibilité réglementaire existe. Les constructeurs des véhicules autonomes par exemple, utilisent des flexibilités existantes pour effectuer des expérimentations. La loi exige qu’il y ait un conducteur derrière un volant mais les espaces réglementaires pour réaliser un certain nombre de tests ont été trouvés. Sur d’autres sujets ces démarches innovantes ont utilisé les marges de manœuvre réglementaires ou ont fait adapter la législation. Les incitations fiscales peuvent aider mais il y a peu de chance que ce soit l’élément le plus moteur. Ce dont les gens ont besoin, c’est de se sentir suffisamment à l’aise avec les outils, qu’ils aient suffisamment confiance. Qu’est ce qui va arriver à débloquer ces usages limités ? Le fait que l’on exporte peu et que les entreprises françaises utilisent peu les services e-commerce, comme l’a analysé le Conseil national du numérique, démontre un manque de confiance des acteurs. Cette question préoccupe le gouvernement actuel et va se poser pendant un certain temps. A l’heure actuelle nous avons donc besoin d’un retour sur un certain nombre d’expériences. Cette analyse nous permettrait de déterminer quels sont les éléments qui aideront le plus les entreprises sur les questions de confiance, d’accompagnement, de financement, de verrous réglementaires… Le Conseil national du numérique va commencer une expérience d’accompagnement à la numérisation des PME. Il réalisera ensuite un guide pour permettre aux chefs d’entreprises d’identifier quels sont les outils qui sont disponibles et pas nécessairement très coûteux. Ce genre d’initiative va permettre de mieux caractériser à quel niveau les blocages se jouent et ensuite de généraliser les solutions qui fonctionnent. Et probablement que quand un certain nombre de services publics, comme le paiement d’impôts, seront numérisés de façon efficace par l’Etat cela pourra aussi donner envie aux gens, les inciter à basculer. Le grand enjeu est de simplifier la vie des citoyens, des entreprises, et d’arriver à faire des choses qui fonctionnent ! Parfois de grands projets, pas forcément orientés vers l’utilisateur sont issus d’une volonté ambitieuse d’avoir un grand système qui fait tout mais qui à la fin fait tout mal et qui n’est pas adopté par les utilisateurs. L’exemple du logiciel de paie Louvois est flagrant. Il faut faire des systèmes qui fonctionnent et simples. Et ne pas faire plaisir à un acteur mais que chacun en retire un avantage. Nous avons le souci que le compte personnel d’activité par exemple soit assez ouvert et adaptable pour apporter des services aux gens, qu’il leur permette de construire un parcours professionnel de la façon la plus efficace pour eux, que le dossier médical partagé soit au service de tous les usagers (patients, médecins, infirmiers, pharmaciens…) et pas seulement d’un seul acteur, et qu’à la fin, on ait perdu du temps et de l’argent parce qu’il n’est pas utilisé.

Les acteurs publics qui vont vers davantage de services virtuels doivent relever le défi de la fracture numérique en termes d’usages pour assurer un accès à tous. Les structures actuelles de l’Etat peuvent-elles être mobilisées pour assurer la médiation vers les usages numériques ? Comme par exemple les EPN, les tiers lieux labellisés, les instances de gouvernance tels que l’Agence du numérique… ?

Nous sommes partis pour fournir des services virtuels de façon croissante. Et en même temps en France, le taux d’équipement en Smartphones de 60 %, en accès internet de 80 % laisse une part significative de la population non connectée. Il n’y a aucun doute qu’il faudra développer plus de moyens pour que les gens puissent accéder aux services. Comment va-t-on y arriver ? Nous serions intéressés d’avoir des contributions sur ce sujet. Qu’est ce qui va fonctionner ? Cela vaut le coup que les pouvoirs politiques se mobilisent sur cette question. Nous sommes sur un domaine où nous avons grand besoin d’expérimentation. Dans les faits qu’est ce qui fonctionne ? Certes, les lieux publics offrant accès à internet sont des réponses mais dans d’autres cas la solution réside dans des initiatives moins organisées, incarnées par vos voisins, votre famille… En outre, les outils numériques ont la capacité de s’effacer devant les utilisateurs en devenant de plus en plus simples (capacité de reconnaissance du langage naturel, de l’écriture, etc.). Le potentiel de diffusion est donc là, dans l’outil numérique lui-même. Nous aurons besoin d’utiliser de nombreux moyens différents, en construisant un mélange avec les interactions physiques pour arriver à toucher le plus grand nombre, avec une obligation de résultats dès lors que des opérations sont entièrement numérisées.

Normalement les services numériques bien pensés permettent de dégager énormément de temps pour le traitement des dossiers en automatisant un certain nombre de tâches (recherche, calcul…) comme l’expliquent bien Yann LeCun et Jean-Gabriel Ganascia, qui ont animé récemment un séminaire du cycle « mutations technologiques, mutations sociales » à France Stratégie. Il faut voir par exemple l’intelligence artificielle comme une aide à la décision des individus. Cela libère de la ressource humaine pour le dialogue direct, assisté par les nouveaux outils, pour s’occuper des populations qui ont besoin d’accompagnement. Le potentiel existe, savoir comment on l’utilisera est un défi pour les années à venir.

C’est là qu’il y a un débat à avoir et nous souhaitons aborder la question avec les politiques. Nous connaissons des réorganisations, des mutations technologiques qui modifient le travail et permettent de rendre des services mieux avec moins d’agents. Cette transformation libère des moyens mais qu’en fait-on ? Favorise-t-on le développement de ces nouveaux outils d’automatisation ? Si oui, jusqu’à quel point ? Comment modifie-t-on les organisations en fonction des gains d’efficacité réalisés ? Garde-t-on les personnels sur les mêmes postes ? Les réoriente-t-on vers de nouvelles tâches ? Etc. Tout dépend de l’ampleur des transformations que l’on est prêt à accepter : la réponse est politique.

Vous affirmez que sans un accent fort mis sur l’acquisition des compétences en formation initiale ou continue, le France restera un pays consommateur du numérique et non producteur. Dans le cadre de la grande école du numérique, l’Etat vient de labelliser 171 nouvelles formations aux métiers du numérique à destination de 10 000 personnes éloignées de l’emploi. Est-ce que cela va dans le bon sens ? Quels acteurs doivent être mobilisés pour accroître et généraliser cette initiative ?

Il y a plusieurs niveaux de réponse.

Nous devons faire des efforts de formation initiale transversale. Certes, tout le monde n’a pas vocation à devenir codeur. Cependant, tout citoyen va être confronté à des interfaces numériques dans sa vie. Permettre à chacun d’avoir une culture suffisante pour être en mesure de faire des choix éclairés, lorsque des questions aux sous jacents numériques se poseront, est crucial. De telles questions se poseront en matière de liberté publique, de choix de mode de production. Il s’agit de permettre aux citoyens d’évoluer sereinement par rapport à l’environnement numérique qui s’annonce. C’est donc au niveau de l’Education nationale que se pose la question : quel poids donner à l’enseignement de l’informatique à l’école ? Quels sont les éléments essentiels à apporter aux citoyens ?

Il faut aussi se poser la question de la formation tout au long de la vie car les outils numériques vont probablement changer plus vite que par le passé. Les métiers évoluent et continueront d’évoluer. Il y a un besoin de former les populations aux nouveaux métiers qui apparaissent, que les personnes se réorientent d’anciennes compétences moins nécessaires vers de nouvelles plus utiles.

Ensuite nous avons besoin de gens suffisamment pointus, avec de bonnes compétences d’ingénieur, pour fabriquer tous ces nouveaux services qui s’annoncent, pour faire fonctionner les services informatisés, pour les maintenir, les développer. Sur le champ général des informaticiens, le déficit de main d’œuvre n’est pas si marqué. Pour autant, nous recevons régulièrement l’écho de besoins spécifiques d’analystes des données, de codeurs. Nous devons analyser nos besoins de formation et mieux les quantifier. Les acteurs concernés sont à la fois les écoles et les universités. Mais continuons de laisser la place également aux écoles innovantes dans leur méthode, utilisant l’évaluation par les pairs, sans cours magistraux, la pratique sur la base de projets. Formations traditionnelles et nouveaux acteurs doivent veiller à proposer des formations de pointe en informatique, dont nous aurons besoin si on veut garder la capacité de proposer des outils innovants.

Enfin nous avons besoin de la recherche fondamentale, de recherche publique de bonne qualité, pour résoudre les problèmes de fond. Dans un certain nombre de cas, l’innovation concerne les services, mais dans d’autres, par exemple en matière d’intelligence artificielle, des problèmes relevant de la recherche se posent. La problématique est alors : Comment faire avancer la recherche ? Comment parvenir à transférer les découvertes scientifiques vers la sphère productive et le développement commercial ? L’exemple de Google, né à l’université, est marquant. Je pense par exemple à des questions de sécurité informatique, de sciences du vivant, de réflexions autour de l’ordinateur quantique…

 

Mise à jour le Mardi, 19 Avril 2016 13:24  

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