Entretien avec Gilles Babinet, digital champion à l’Union européenne, auteur du rapport Pour un « New Deal » numérique (Institut Montaigne) D’où vous est venue l’idée de ce rapport ? De quel constat partiez-vous ? J’avais déjà collaboré à l’Institut Montaigne sur des enjeux de compétitivité (i). Lorsque j’ai été nommé président du Conseil national du numérique, j’ai proposé d’orienter nos travaux sur la réforme de l’état et la compétitivité car il me semble que ce sont les enjeux principaux de notre pays. il semble irréaliste de vouloir résoudre les problèmes d’éducation, de délinquance, de logement, etc. sans avoir remis au préalable l’économie en route. Avec la somme des travaux qui en ont découlés, j’ai proposé à Laurent Bigorgne, le directeur de l’institut, d’en faire un rapport, ce qu’il a accepté avec enthousiasme. |
Votre rapport se distingue par son caractère très pratique. Il ne s’agit donc pas de proposer un nouveau plan d’investissement échelonné jusqu’aux calendes grecs ?
En premier lieu il y a urgence, l’actualité quotidienne nous le rappelle très souvent. Et puis, contrairement à ce que l’on ne cesse de lire partout dans les médias, les mesures à prendre pour redémarrer le pays ne sont pas si nombreuses que cela mais nécessitent de changer de cadre conceptuel. C’est le message du rapport et c’est pourquoi nous nous sommes attachés à d’une part faire simple et d’autre part valider le moindre chiffre que nous y évoquons. Nous avons voulu éviter le syndrome du rapport avec tellement de mesures qu’on les oublies toutes vite.
Vous faîtes plusieurs propositions, notamment sur le financement de l’innovation et la mise en synergie des entreprises du numérique. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Il est indispensable de spécialiser l’économie par et pour le numérique. Par ailleurs, le financement de l’innovation devient une arme stratégique entre les nations, car l’économie mondiale voit les cycles d’innovation et les ruptures de cycle se rapprocher de plus en plus. Ne pas avoir d’outils fiscaux et financiers adaptés c’est l’assurance de voir le pays décrocher rapidement. Nous proposons des outils qui nous semblent à la fois être appropriés au contexte français et qui évitent l’éternelle tentation de créer de nouvelles niches.
De ce point de vue, le projet de Paris Capital Numérique vous parait-il une bonne chose ?
Oui, indubitablement. Quoi que certains puissent en dire, les clusters sont très efficaces, le numérique c’est avant tout de l’économie systémique ; où les partenariats entre entreprises sont particulièrement pertinents pour créer de la richesse. De fait, les clusters renforcent les partenariats et l’effet de halo se mesure dans l’ensemble les clusters «digitaux » de la planète.
Vous proposez également d’investir le champ de l’e-santé et de l’e-éducation. Pourquoi ces deux domaines ?
Il nous faut des filières d’excellence ; nous avons proposé celles-ci parce qu’elles nous semblent pragmatiques. Nous avons déjà d’importants problèmes à l’égard de l’éducation, et nous ne tarderons pas à en avoir avec la dépendance (ou la santé). Ceci étant dit, le choix du gouvernement de privilégier la robotique est excellent ; nous aurions tout aussi bien pu proposer une telle mesure. Un autre axe qui nous semble pertinent est celui de l’algorithmie (la data) où nous avons également de très bons atouts. Là aussi, il semble que le gouvernement veut développer une filière.
L’idée d’un « newdeal » numérique, ça peut paraître étonnant pour un libéral comme vous ?
C’est vous qui le dites. Les étiquettes et les idéologies ne m’intéressent que peu. Regardez d’ailleurs où elles nous ont mené. Pour avoir passé et pour continuer à passer un temps considérable à lire de la recherche en économie, j’en tire une conviction forte que les nations de demain qui réussiront seront celles qui parviendront à allier une très grande liberté entrepreneuriale avec un niveau de régulation plutôt élevé. Bien malin celui qui dira si c’est une vision socialiste ou libérale.
(i) « De la Naissance à la Croissance » rapport sur la compétitivité et les facteurs de développement des ETI
Propos recueillis par Joseph d’Arrast
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