Questions à Philippe Lemoine, Président de LaSer Le Gouvernement vous a chargé d’une mission sur « la transformation numérique » afin de préparer notre économie aux mutations des modèles économiques. Quel est le constat de départ ? L’économie française souffre-t-elle de la révolution internet ? Il suffit de regarder l’intitulé des rapports des grands Cabinets de stratégie qui opèrent à travers le monde pour constater que l’enjeu de la transformation numérique n’est pas seulement français. En fait une première étape a eu lieu au cours de laquelle les entreprises se sont connectées à Internet, ont investi dans des sites et se sont entourées d’équipes compétentes. Mais cette étape instrumentale d’adoption de nouveaux outils débouche sur une autre phase : celle d’un bouleversement bien plus profond qui amène les entreprises à devoir transformer leurs modèles d’affaires et leurs principes d’organisation Trois éléments se conjuguent en effet. D’abord, le fait que l’ensemble de la population est maintenant connecté à Internet et que c’est au contact du grand public que se jouent désormais les principaux enjeux de l’innovation. Ensuite, l’émergence d’une nouvelle force qui s’exprime sur les réseaux, là où la multitude des internautes se rencontre : la force de l’intelligence collective. Enfin, la montée en puissance des GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon), ces intermédiaires à valeur ajoutée qui savent précisément capter l’intelligence collective des internautes pour s’infiltrer entre les différentes industries et leur marché. Ces enjeux ne sont pas propres à la France. Ils peuvent toutefois contribuer à affaiblir un certain nombre de points forts de notre économie nationale, notamment les grands groupes traditionnels qui opèrent dans plusieurs secteurs. |
Arnaud Montebourg a parlé d’un rôle « cathartique » à jouer sur les peurs engendrées par les bouleversements d’internet. Votre travail va-t-il aussi consister à dissiper les craintes ?
Il est essentiel d’anticiper les bouleversements en cours pour éviter d’être submergés par des réactions de peur et de repli. Je me suis amusé à recenser ainsi certains des articles parus au cours des dernières semaines dans le grand quotidien de l’économie qu’est le journal Les Echos. Voici quelques titres : « Un tsunami Internet va bouleverser la distribution » (29.IX.13) ; « Pour les entreprises, l’abri anti-numérique n’existe pas » (8.X.13) ; « Pourquoi la révolution technologique m’a tué » (27.X.13) ; « Pour en finir avec l’exception numérique » (15.XI.13), etc.
Dans ce contexte, la demande qui s’exprime vis-à-vis de l’Etat est avant tout une demande de protection. Dans de nombreux cas, cette demande est parfaitement légitime, s’il s’agit notamment de corriger des situations dans lesquelles la concurrence est faussée et où les nouveaux entrants bénéficient de distorsions sociales, fiscales ou règlementaires. Mais le danger serait de se cantonner dans des politiques émotionnelles qui multiplieraient les obstacles à la croissance d’autres acteurs nationaux ou européens qui voient avant tout la révolution numérique comme une opportunité. Il faut anticiper pour ne pas mener des politiques hémiplégiques.
Votre lettre de mission précise qu’il s’agit de « fédérer les acteurs par filière ». On sait que l’assurance, la santé et l’automobile (comme de récentes grèves l’ont montré) sont particulièrement concernés. S’agit-il de ne pas rater le coche de la numérisation de l’économie ?
La lettre de mission me fixe précisément l’objectif « de fédérer les acteurs économiques (entreprises, syndicats, administrations) autour des enjeux de la transformation numérique spécifiques à chaque secteur d’activité ». Comme la lettre insiste par ailleurs sur la dimension prospective de la mission, une des premières réflexions à mener est celle de ce que recouvre la notion du « secteur ». Faut-il s’en tenir à la définition des secteurs industriels, au sens des nomenclatures INSEE ? Faut-il insister sur des liaisons verticales et parler comme vous le faites de « filières » ? Faut-il au contraire mettre l’accent sur les interactions horizontales et découper des « écosystèmes » ? Des exemples comme la santé ou l’automobile illustrent que l’analyse ne sera pas la même selon que l’on choisit tel ou tel angle de vue. Mais ce qui est le plus important, c’est d’anticiper pour éviter le désarroi et le traitement trop tardif d’un certain nombre de bouleversements.
Quel sera le déroulé de votre calendrier ? Qui vous accompagnera ?
Il est prévu que je remette un rapport au mois de juillet 2014. Compte tenu de l’ampleur du sujet, il s’agit d’un délai court qui supposera le recours à des méthodes innovantes de co-construction et de convergence dans l’action. A quoi cela rimerait-il de travailler sur les transformations numériques sans s’ouvrir à l’intelligence collective ?
Un processus rythmé est en cours de définition alternant des phases de cadrage et de rencontres bilatérales et des phases d’ateliers et de tables-rondes. Deux rapporteurs ont été nommés : Alexandre Moatti du Conseil Général de l’Economie et Tania Lasisz du SGMAP. Un Comité de dix experts provenant aussi bien de l’univers de l’innovation que de celui des entreprises traditionnelles ou du monde du travail m’accompagne, ainsi qu’un Cabinet de consultants en cours de sélection. Nous ouvrirons un lieu, créatif où se rassembleront ces équipes et qui sera doublé d’un site Internet pour interagir avec l’extérieur.