Entretien avec Pascale-Luciani Boyer, maire-adjoint de Saint-Maur-des-Fossés, Présidente de la commission numérique pour l’Association des Maires d’Ile-de-France, membre du conseil national du numérique (CNnum) Le Think tank Renaissance Numérique, dont vous faîtes partie, a dressé un constat très sévère du volet numérique des programmes de 527 candidats aux élections municipales. Qu’est-ce qui explique ce peu d’enthousiasme pour le sujet ? Il y a d’abord un constat évident : l’élite politique dans sa globalité est peu au fait du numérique. Le récent rapport du CNnum sur l’inclusion pointait du doigt l’urgence qu’il y a à former et accompagner les décideurs. Un fossé se creuse entre le politique et le citoyen lambda, qui lui plébiscite le numérique. Comment l’expliquez-vous ? Beaucoup de politiques n’ont pas mesuré que le numérique, ce n’est pas que l’aménagement territorial d’un secteur ou le matériel informatique à changer dans les administrations. Le maire, en l’occurrence, est un bâtisseur. Et à ce titre, il finance des équipements ou des infrastructures. Quand il finance la fibre pour le Très-haut-débit, il voit là un investissement, et souvent, ça s’arrête là. |
Or le vrai sujet du numérique, ce sont les usages. Le citoyen se moque du « comment ». Il s’intéresse au « pourquoi faire ? », aux applications.
Le numérique dans les programmes municipaux tourne donc principalement autour des infrastructures et un peu sur l’e-administration. Les candidats n’ont pas encore pris conscience que le numérique, c’est aussi du tourisme, une ville dynamique, un accompagnement des personnes âgées à domicile. Les politiques publiques doivent être revisitées à l’aune du numérique.
Comment activer cette prise de conscience des candidats ?
Les candidats peuvent être amenés à signer des engagements. Intel et le cabinet Amotice se sont par exemple associés sur ce sujet afin de proposer une charte d’engagement aux candidats sur l’école numérique.
Il y aurait matière à proposer ainsi une liste d’éléments essentiels sur le numérique à retrouver dans un programme municipal. Chaque candidat serait ensuite libre de l’amender, la compléter, l’enrichir selon la configuration de sa ville.
Une autre initiative pour un candidat serait de s’engager à nommer dès son élection un maire-adjoint délégué aux usages numériques. Pas à la technique, juste aux usages. Il devra être le médiateur naturel auprès de ses collègues pour s’assurer que l’impact de cette mutation sociétale numérique touche bien tous les secteurs de la ville.
Quels moyens financiers requièrent les « villes intelligentes », comme on dit aujourd’hui ? Le numérique n’est-il pas réservé aux communes les plus riches ?
Non. L’éclairage connecté et les économies de consommation, c’est très bien mais il y a aussi bien des modalités d’application à mettre en œuvre au cœur de la ruralité. La ville intelligente ne fait pas que rationnaliser les ressources, elle peut rapprocher les gens et répond à des enjeux sociaux.
Vous avez des exemples ?
Il y en aurait beaucoup. Je vais vous en citer deux, pour le secteur rural.
Il faut mettre l’accent sur la dynamique et le maintien des populations vieillissantes dont la contribution à la consommation locale est essentielle pour certaines communes. Le numérique peut permettre ce maintien dans leur milieu de vie. Par exemple, à Saint-Maur-des-Fossés, nous avons créé un service numérique qui permet à une personne âgée en perte d’audition d’appeler son médecin via un écran adapté. C’est un service très peu onéreux et qui remplit beaucoup de fonctions.
Autre exemple : la reconfiguration de la démocratie de proximité. C’est un sujet qui intéresse tous les maires. Il s’agit pour la mairie de rendre son action et son fonctionnement plus transparent. Avec le numérique, il devient facile de communiquer sur les projets de la commune, sur l’attribution des places en crèches et des logements sociaux, ou encore d’organiser les référendums d’initiatives locales, etc… Les citoyens deviennent des acteurs de la cité, plus simplement des électeurs.