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Home Telecom « Les villes qui réussissent leur transformation sont celles qui se projettent bien au-delà de la durée d’un mandat électoral. »

« Les villes qui réussissent leur transformation sont celles qui se projettent bien au-delà de la durée d’un mandat électoral. »

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 Photo CMORENO 02 12

Entretien avec Carlos Moreno, Professeur des Universités, spécialiste du contrôle intelligent des systèmes complexes

La ville intelligente ou smart city, relève de différents enjeux. En termes économiques, quels sont les grands chantiers d’aujourd’hui ?

La Smart City est la convergence de plusieurs enjeux – sociaux, culturels, économiques, écologiques et de résilience – qui sont, et il est essentiel de le souligner, interdépendants. Dans ma vision de la Smart City, c’est la qualité de vie en ville qui doit être au cœur de toute démarche d’innovation, et il y a trois domaines dans lesquels il faut innover de manière convergente : l’inclusion sociale, la réinvention urbaine et les apports des grandes révolutions technologiques en cours, traversées par le digital.

 Si l’on veut faire un focus sur les grands chantiers actuels en termes économiques, je dirais que la priorité, dans notre monde en crise, et notamment en Europe, où nous souffrons de grosses difficultés budgétaires qui ont un impact important sur nos villes, c’est la mutualisation et l’optimisation – soit comment mieux faire de façon frugale. Grâce à une gestion transverse de la ville, nous pouvons créer de nouveaux services (mobilité, participation citoyenne, efficience énergétique, culture, sécurité…) et nous pouvons assurer une meilleure transition urbaine face aux défis du 21ème siècle, la diminution des ressources énergétiques et le changement climatique.

 

La ville connectée permet aussi au citoyen de mieux s’approprier sa municipalité, grâce à l’usage des données par exemple. Quelles sont les innovations possibles dans ce domaine ?

L’un des aspects de l’intelligence urbaine est en effet l’hyperconnectivité des citoyens, avec la coproduction de données qui permet d’innover à travers la création de nouveaux usages. Nous avons déjà de nombreux exemples : l’ouverture des données, grâce à l’open data déployée à l’échelle des villes, permet aux citoyens d’avoir accès à des données de tous types : données cadastrales, mobilité, infrastructures, gestion des ressources etc. De nouvelles applications sont créées lors des hackathons : grâce à l’appli Tranquilien, par exemple, née de l’ouverture des données de la SNCF lors d’un hackathon, le transport en Île-de-France devient intelligent. C’est vrai aussi pour l’efficacité énergétique, avec la création d’applis permettant de signaler des défaillances (comme FixMyStreet et sa version parisienne, DansMaRue). On voit naître de nombreuses plateformes dédiées à de nouveaux services urbains. Un portail comme Proxima Mobile répertorie toutes les applis utiles pour les usagers urbains. Bref, la capacité à créer de nouvelles applications est infinie, et elle concerne tous les domaines de la vie urbaine (santé, environnement, mobilité, culture, etc). Nous assistons aujourd’hui à la convergence de l’open-data, de la cartographie numérique, de la géolocalisation et de la co-construction de nouveaux services. Ce qui est intéressant à l’heure actuelle, ce n’est pas seulement le fait que les données soient ouvertes, mais qu’elles deviennent elles-mêmes sources d’information. Immergées dans un environnement socio-territorial, les données mobilisent les énergies et font naître ainsi de nouveaux services et usages. Pour ma part, je plaide pour pérenniser les acquis, grâce à la démocratisation du codage, pour développer des applis d’une grande diversité grâce à l’open source et pour que vivre dans sa ville devienne, par le numérique, une « appstitude ». La mobilisation des énergies ne doit pas se faire uniquement le temps d’un week-end pour un hackathon, mais au quotidien, grâce à l’hyperconnectivité.

Vous défendez une vision de la ville intelligente « humaine ». Qu’est-ce à dire ?

Je suis en effet l’un des membres pionniers de cette communauté internationale qui porte le concept de Smart City Humaine ou Ville Vivante, en défendant une approche résolument « citizen-centric ». Pour nous, les vrais enjeux de la transformation urbaine sont sociaux, économiques, culturels, bref humains. La technologie n’est pas une fin en soi, elle n’est qu’un levier, certes extrêmement puissant, de cette transformation. Il ne peut pas y avoir de ville intelligente sans intelligence citoyenne. Cette approche est intéressante parce qu’elle permet de concentrer les meilleurs efforts pour transformer la ville et je me réjouis de la voir aujourd’hui au cœur de la réflexion des grands acteurs internationaux.

Les besoins des villes sont-ils différents selon leur profil ?

Je défends également sur la scène internationale cette idée que la Smart City n’existe pas, il n’y a que des Smart Cities humaines. La ville est comparable à un organisme vivant complexe et chaque ville a une histoire qui lui est propre. Nous disons que le 21ème siècle est celui des villes, mais le poids de chaque ville est particulier. Il existe donc des besoins spécifiques à chaque espace urbain, liés à son contexte et de même les solutions adaptées pour une ville ne conviennent pas forcément aux autres, même dans un même pays. D’où l’importance de travailler dans une approche transversale et multidisciplinaire. D’où l’importance également de prendre en compte l’environnement de la ville et sa gouvernance, car sans acceptabilité de la part des futurs usagers il ne peut y avoir de transformation urbaine.

Quels sont les échanges que vous avez avec les différents maires ? Sont-ils suffisamment conscients des opportunités du numérique ou jugez-vous cette évolution encore trop confidentielle ?

J’ai le privilège d’échanger en permanence avec les décideurs des villes en France et dans le monde entier. Il est impossible de généraliser aujourd’hui l’état d’esprit des maires, la situation est très différente d’une ville à l’autre. Dans certaines villes, la mutation est largement intégrée par les décideurs et cela se traduit par de profondes transformations. Mais il reste beaucoup à faire pour aller à l’essentiel : capitaliser sur cette opportunité unique que représente la convergence entre le social, l’urbain et le numérique. Certains maires sont très à la pointe du numérique, mais sont tentés par l’approche techno-centrée. D’autres sont très à la pointe de l’action sociale et passent à côté de l’optimisation de la performance que permettent les nouvelles technologies. D’autres enfin investissent beaucoup dans de grands travaux, mais tendent à négliger l’inclusion dans un écosystème et l’inclusion sociale. Il y a donc un travail permanent de diffusion, d’échanges et de pédagogie à faire et c’est le rôle que je m’efforce de jouer sur la scène internationale. Il faut donner à voir la ville du futur, mais aussi montrer qu’il est possible de la construire dès aujourd’hui. Car les villes qui réussissent leur transformation urbaine sont celles qui se projettent sur le long terme, bien au-delà de la durée d’un mandat électoral. 

Mise à jour le Mercredi, 26 Novembre 2014 08:42  

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