1/ Vous réclamez que les fournisseurs d’accès à internet versent une contribution aux auteurs alors que la loi Hadopi, sensée lutter contre le téléchargement illégal, vient juste d’être adoptée. Vous ne voulez pas attendre les évaluations de l’efficacité de cette loi ?
Précision : Les propositions de la Sacem concernent les ayants droit de la musique et tout particulièrement les auteurs, compositeurs et éditeurs ainsi les artistes interprètes et musiciens.
Les auteurs et créateurs du monde musical ont toujours affiché une position sans ambigüité sur la nécessaire défense des droits de propriété littéraire et artistique organisée par la loi "Création et Internet". Ils ont à chaque étape clef apporté leur soutien aux pouvoirs publics, en faisant acte de pédagogie auprès des parlementaires et des internautes, en organisant une pétition de soutien ouverte à toute la filière, en participant à des prises de paroles.
La portée symbolique et pédagogique de ce texte est essentielle, notamment parce qu'il réaffirme la valeur de la création et la légitimité du droit d'auteur à l'ère numérique. D'un point de vue juridique, il maintient également le principe cardinal du « droit exclusif » de l'auteur sur l'utilisation de son œuvre
Dans ce débat, les créateurs de musique ont également souhaité faire preuve de solidarité avec leurs pairs dans les autres secteurs culturels comme le cinéma ou la télévision, dans la mesure où le principe d'exclusivité de la diffusion de leurs œuvres est au cœur de financement.
Par là, la loi "Création et Internet" est de nature à favoriser le développement des offres légales de contenus culturels en ligne et sur mobiles.
Néanmoins, l’adoption de cette loi ne va en aucun cas leur permettre de compenser à échéance prévisible le préjudice subi depuis des années et qui va perdurer :
- Le sur-stockage de répertoires musicaux depuis l'avènement des réseaux et des échanges illicites afférents. L'IFPI estime ainsi à 40 milliards le nombre de fichiers musicaux téléchargés illicitement dans le monde en 2008, soit une moyenne de 30 morceaux par utilisateur d'internet par an. Cela signifie que tous les "standards" des divers répertoires (musique classique, grands classiques pop, rock, rap ou de la chanson française, "hits" internationaux) sont déjà présents et partagés sur les réseaux depuis leur avènement : leur valeur marchande est donc quasi-nulle, et leur monétisation ne générera pas de revenus significatifs dans l'avenir.
- Les comportements fortement ancrés de "passager clandestin" obèrent la transition entre business models actuels et futurs et notamment le développement d'offres numériques attractives (les business models traditionnels subissent une perte de valeur ou un manque à gagner, tandis que les nouveaux peinent à se développer en raison des handicaps que font peser les échanges illicites sur le fruit des investissements consentis).
Par ailleurs, ce dispositif (à supposer même résolues toutes les difficultés d'application), laisse le champ libre à nombre de pratiques totalement incontrôlables et comporte certaines limites:
- Les facultés de contourner les dispositifs de contrôles envisagés sont multiples et pénaliseront encore longtemps le développement de services légaux viables. Pour n'en citer que quelques unes : Direct Download (ou DDL) sur des unités de stockage distantes type MegaUpload-MégaVidéo, RapidShare, Dl.free.fr (qui proposent de plus un service premium payant…), utilisation d'un logiciel "friend-to-friend" (permettant d'échanger des fichiers avec ses amis proches, puis avec des groupes élargis, sans jamais utiliser l'adresse IP de votre ordinateur), partage et échanges de fichiers via des Internet Relay Chat (protocoles de communication instantanée sur Internet), utilisation de proxy pour masquer sa propre adresse IP, utilisation de logiciels p2p cryptés, anonymes et sécurisés type Share, Mute, Freenet , Waste , ANts, Nodezilla …, ou bien d'un réseau privé virtuel (VPN) qui crypte les données sortant de l'ordinateur et les redistribue à partir d'un serveur basé à l'étranger…
- Le nombre d'œuvres contrôlées (environ 10 000) est infime au regard du nombre d'œuvres en circulation sans possibilité de contrôle (plusieurs millions). Des lors, le contrôle sera concentré sur les œuvres les plus populaires, laissant sans protection les répertoires plus fragiles (jazz, musique classique, répertoires francophones ou non anglo-saxon) et les artistes les plus modestes qui pourront être échangés illicitement sans risques.
- La probabilité d'intercepter trois fois de suite la même personne pour des échanges illégaux devrait être très, encore plus lorsqu'on la rapporte à la simplicité des solutions techniques proposées aux internautes pour se prémunir contre l'éventualité d'un traçage.
Enfin, la reconnaissance que tout courriel constitue une correspondance privée signifie que les échanges d'œuvres protégées qui y prennent place échapperont au dispositif. Or il ne s'agit pourtant pas d'une pratique marginale, puisque 75% des adolescents et jeunes adultes anglais (14-24 ans, les publics d'aujourd'hui et de demain) admettent avoir envoyé des fichiers musicaux via email, MSN ou Skype à leurs amis & famille selon une étude de UK Music publiée le 10 août 2009. Il s'agit donc déjà d'une source importante d'échanges hors du "cadre familial".
Le dispositif laissera par conséquent subsister un large volume d'échanges non autorisés, avec le préjudice en résultant pour les créateurs, de même qu'il ne compensera nullement les pertes économiques subies par l'ensemble de la filière depuis 2002, lesquelles perdureront du fait du stockage massif d'œuvres opéré depuis des années aussi bien sur les disques durs d'ordinateur que sur les baladeurs numériques.
C’est au titre de la compensation de ces préjudices passés et à venir que la Sacem propose une contribution de droit privé à la charge des FAI, contribution modulable qui pourra baiser en fonction de la résolution des échanges et du marché.
2/ Les fournisseurs d’accès doivent-ils être tenu financièrement responsables du téléchargement illégal ?
Du fait de la directive E-Commerce de 2000, les FAI et opérateurs techniques échappent à toute responsabilité juridique et financière du fait des échanges illicites, et dès lors à toute obligation de soutien aux rémunérations des créateurs, alors que leur croissance vertigineuse est largement due à la diffusion et au téléchargement de ces contenus, notamment avec la généralisation de la tarification forfaitaire (type 29,90€/mois tout compris) qui constitue un véritable écosystème pour l'échange illicite d'œuvres protégées.
Si l'explosion des consommations musicales (et des contenus audiovisuels) ne s'est pas traduite par une amélioration des revenus de la filière musicale et des créateurs, bien au contraire, elle a été une véritable manne pour les FAI qui ont bénéficié d’un important enrichissement sans cause. Ces opérateurs ont même bâti leur communication publicitaire et leur développement sur les facilités offertes aux internautes pour visualiser, télécharger et copier des contenus… avec beaucoup de succès, et alors qu'il était avéré que l'immense majorité des échanges étaient illicites.
Cette situation qui perdure depuis près de 10 ans ne peut mener, à terme, qu’à un appauvrissement drastique du nombre comme de la qualité des œuvres.
C’est pourquoi il semble légitime de mettre en place une contribution modulable des FAI à la rémunération directe des ayants droit de la musique.
3/ Ils ne manqueront pas de répercuter la contribution demandée sur leurs abonnés. A combien chiffrez-vous cette nouvelle contribution par abonné ?
Pour le moment, nous n’avons pas procédé à ce type de chiffrage.
De plus, précisons que cette contribution n’a pas forcément vocation à être répercutée sur les abonnés, pour deux raisons :
- Nous proposons une contribution modulable : elle devrait être modulable en fonction du volume global des échanges non autorisés et de l’évolution du marché. Cette contribution pourrait donc baisser au fur et à mesure que ce tariront les flux illicites et que le public si adoptera les offres légales. Elle a aussi un effet incitatif auprès des FAI pour les pousser à lutter contre les échanges illicites. Proportionnelle à la seule réalité des échanges non autorisés, elle est compatible avec l'actuelle redevance pour copie privée qui ne compense que le seul préjudice lié aux copies licites des œuvres. Elle permettra donc de compenser légitimement le préjudice lié au piratage, sans instaurer de paiements redondants pour les utilisateurs.
- Nous proposons un taux de TVA réduit sur une plus large assiette de l’abonnement aux FAI : afin de limiter l'impact financier sur ces opérateurs et les consommateurs, le taux de TVA réduit devrait être étendu à la part de l'abonnement aux FAI relative à la connexion internet. La TVA à 5,5% ne s’applique pour le moment qu’à l’activité de distributeurs de télévision des FAI, soit 50% du prix des abonnements. Etendre ce taux permettrait d’éviter que la contribution demandée aux FAI pour financer la création ne soit répercutée à leurs abonnés.
4/ La question sous jacente à la baisse de vos recettes n’est elle pas également la répartition des revenus liés au numérique entre les grandes sociétés de production et les auteurs ?
Il est plus juste de dire que l’on assiste à un cumul de tendances négatives :
- Effondrement des perceptions au titre du marché phonographique (disques) : les perceptions de droits d’auteur s’effondrent dans les mêmes proportions que le marché du disque depuis 2003.
- Compensation insuffisante par les usages en ligne : les usages en ligne génèrent des revenus marginaux et des rémunérations très faibles pour les auteurs, compositeurs et éditeurs de musique. Ces rémunérations n’ont que très insuffisamment « pris le relais » du marché du disque « traditionnel ». En 2008 les perceptions de droits d’auteurs sur les ventes numériques de musique (internet + téléphonie mobile) se sont élevées à 6,6 M€ soit 8,9% seulement des droits d’auteurs générés par les phonogrammes cette même année (73,6 M€). Ces 6,6 M€ représentent toujours moins de 1% des perceptions globales de la Sacem.
- Modèles numériques émergents entraînant une détérioration nette des rémunérations des créateurs : les premières conclusions d'une étude en cours sur les nouveaux équilibres économiques engendrés dans l'industrie musicale par les différents modèles de diffusion légale des contenus soulignent qu’un sensible déséquilibre s’est instauré dans le partage des revenus en ligne au détriment des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique, mais aussi semble-t-il des artistes interprètes. Sur un album vendu par une plateforme numérique connue à 9,99€ TTC, la part des droits d'auteur est de 0,7 €. Pour un album physique, elle représente (selon le prix de gros du CD) entre 1€ et 1,2 €. De plus, alors que la distribution numérique des œuvres entraîne des économies substantielles (de l'ordre de 7 à 10%) pour les producteurs et distributeurs, ces marges nouvelles ne sont pas répercutées auprès des créateurs. De la même manière, les conditions commerciales imposées par les maisons de disques aux services légaux telles que facturation de frais techniques pour la livraison du catalogue, minimum garanti non remboursable pour l'utilisation du catalogue (avances), droit au nom (utilisation du nom de la maison de disques dans la communication du service), participation au capital des start-up musicales, contribuent à créer des conditions de négociation ou de rémunération déséquilibrée pour les autres ayants droit.