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Home Telecom Olivier Esper : Google n’est pas un « free rider des réseaux »

Olivier Esper : Google n’est pas un « free rider des réseaux »

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A ses débuts, Google avait une image conviviale et sympathique. Aujourd’hui le moteur de recherche le plus utilisé fait peur. En dehors de toutes polémiques, Olivier Esper, directeur des relations institutionnelles chez Google France défend point par point son entreprise. Entretien.

Quel regard portez-vous sur la législation en construction sur Internet (neutralité, régulation…)?

Une étude publiée récemment par le cabinet McKinsey fournit pour la première fois une analyse macroéconomique de l’impact d’Internet sur l’économie française. On apprend ainsi que la contribution d’Internet est significative puisqu’elle a représenté 3,2% du PIB français en 2009 soit plus que l’énergie ou encore les transports. Cette contribution se traduit concrètement par la création de 700 000 emplois nets (ce chiffre tient donc compte des réallocations d’emplois induites par Internet) en 15 ans soit un quart du total des emplois créés sur la même période. Le rapport montre également qu’Internet représente aujourd’hui un quart de la croissance et surtout que la France se trouve dans une phase critique : le cabinet McKinsey estime que l’impact d’internet sur l’économie française va s’accélérer pour atteindre 5,5% du PIB en 2015 et pourrait se traduite par le création de 450 000 emplois supplémentaires. 

Internet est donc aujourd’hui créateur de valeur nette. Dans d’autres pays, cet apport est encore plus important, ainsi par exemple au Royaume Uni, Internet aurait contribué à 7% du PIB britannique. Plutôt que de voir le verre à moitié vide, ces perspectives militent en faveur d’une politique numérique libérant le potentiel de croissance de l’Internet ! Il ne faudrait pas croire que l’impact d’Internet est derrière nous, que les places sont prises, et qu’il s’agit désormais de gérer ou réguler un secteur stabilisé. Bien au contraire : la France doit impérativement mener une politique de développement pour maximiser les retombées économiques de l’internet qui sont encore largement devant nous. 

Quel doit être selon vous le rôle du législateur en matière d’Internet ?

Une politique volontaire pour le développement du numérique doit viser à libérer le potentiel de croissance lié à Internet et la capacité à innover de nos entrepreneurs et ingénieurs si talentueux. Une telle politique peut porter sur de multiples domaines de la loi. Par exemple, l’étude McKinsey sur l’impact économique d’internet montre qu’une petite entreprise utilisant internet bénéficie d’une croissance deux fois plus importante qu’une entreprise similaire n’utilisant pas internet, elle exporte deux fois plus et est deux fois plus rentable. Or, seulement 30 à 40% des TPE/PME françaises disposent d’un site internet actif[1], à comparer à un taux d’équipement de 60% au Royaume-Uni. La France se positionne au 21ème rang parmi les 27 pays de l’Union Européenne en ce qui concerne le taux d’équipement des PME en sites internet[2]. Il y a donc un vrai enjeu économique pour le législateur à encourager la pénétration d’internet au sein des PME/TPE.

Par ailleurs, une vision tournée vers l’avenir consiste, pour le législateur, à se poser la question “Que faut-il faire pour que le prochain Google puisse naître en France ?”. Les talents des entrepreneurs et des ingénieurs français sont véritables et reconnus. Côté entrepreneurs, Google soutient le premier accélérateur d’entrepreneurs lancé en France : Le Camping. Il s’agit d’un programme de coaching d’une promotion d’entrepreneurs, sur une durée de six mois pendant lesquels les projets sélectionnés sont travaillés, avec l’aide de “mentors”, pour prendre ensuite leur envol. C’est en multipliant ces initiatives, c’est en levant les freins au développement en France d’innovations liées à internet, que nous maximiserons les chances de voir naître sur le territoire français un prochain succès mondial de l’Internet.

"Au troisième trimestre 2010, Google a  investi 

 plus de 560 millions d’€ en infrastructures"

Google milite pour le maintien d’un  « modèle ouvert de l’Internet ». Dans le débat sur la neutralité d’Internet, comprenez-vous ceux qui proposent que Google contribue au financement des réseaux puisque vous en utilisez une place croissante ? 

“Les acteurs de l’Internet, free riders des réseaux” est un mythe que certains se plaisent à propager. Les fournisseurs de services en ligne, en particulier Google, financent largement l’infrastructure internet. Les investissements en infrastructures et dépenses auprès des opérateurs télécoms de la part des fournisseurs de services Internet représentent plusieurs milliards d’euros par an au plan mondial. Si l’on prend les seuls comptes de Google, rien qu’au troisième trimestre 2010, l’entreprise a  investi  plus de 560 millions d’€ en infrastructures.

Par ailleurs, les contenus et applications sont la motivation des consommateurs à payer leurs abonnements d’accès aux fournisseurs d’accès. L’étude réalisée par McKinsey conclut que les services financés par la publicité sur internet créent, à eux seuls, une valeur pour les consommateurs qui vient s’ajouter et dépasse largement le prix de l’abonnement. En effet, les foyers français valorisent ces services en moyenne à 36 € / mois !

Par conséquent, dans le débat sur le partage de la valeur, peut-être faudrait-il prendre en compte également que les services internet génèrent la demande pour l’accès aux réseaux ? Et peut-être faudrait-il donc évoquer un partage des revenus d’accès ? Notons au passage que les revenus d’accès sont plus de quatre fois plus élevés que les revenus de la publicité en ligne sur le fixe, et le ratio est encore bien plus élevé sur le mobile.

Dans la contribution d’un Google à la demande pour des accès aux réseaux, il faudrait également comptabiliser le développement de nouvelles plateformes telles qu’Android, mis gratuitement à disposition de l’écosystème. Les nouvelles générations de terminaux basés notamment sur Android ont grandement contribué à l’explosion de la demande pour l’accès à l’internet mobile.

Mais revenons à la question centrale “Que faut-il faire pour que le prochain Google puisse naître en France ?”. Certainement il faut préserver le modèle ouvert de l’Internet. Le maintien de la neutralité des réseaux est essentiel pour que les jeunes acteurs européens puissent se développer sur la scène internationale qu’est Internet. Créer un Internet à péage pour les sites et applications reviendrait à créer des barrières à l’entrée surmontables pour les géants de l’Internet en place, mais insurmontables pour les jeunes pousses. Cela figerait la situation au profit des acteurs ayant déjà acquis une taille importante sur la Toile.

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La taxe dite « Google » partait de l’intention d’imposer Google  mais va finalement pénaliser les éditeurs français. Trouvez-vous légitime que certains réclament une imposition  de vos activités en France ?

La taxe Marini va pénaliser l’ensemble de l’économique numérique. En effet, taxer les annonceurs qui ont recours à la publicité en ligne va impacter tout le secteur : les annonceurs en premier lieu, et en particulier les PME et TPE (n’oublions pas en effet que les liens sponsorisés ont démocratisé l’accès à la publicité pour des très petites entreprises, des artisans et commerçants) ; les régies publicitaires dont les clients sont touchés ; les éditeurs de contenus en ligne.

Google respecte les règles fiscales européennes et françaises. D’ailleurs, si l’on se place du point de vue européen, on devrait se féliciter que l’Union européenne ait su attirer une implantation forte de Google en Europe sur une activité qui, par nature, peut être exercée de n’importe où dans le monde. La présence de Google est même amenée à se développer davantage encore en Europe, puisqu’Eric Schmidt, le Chief Executive Office de l’entreprise, a annoncé 1000 embauches supplémentaires rien qu’en 2011, et nous prévoyons de passer à près de 400 employés en France dans les deux prochaines années.

En France, le même Eric Schmidt a annoncé en septembre dernier l’établissement d’un centre de R&D sur le territoire français, la création d’un Centre Européen de la Culture qui sera basé à Paris et le développement de partenariats de recherche avec des universités françaises. Ce plan d’investissement sur la France est en cours de mise en oeuvre : nous avons fait l’acquisition de locaux immenses dans Paris permettant de soutenir le rythme des embauches ; Google France va doubler de taille dans les deux ans à venir, des équipes d’ingénieurs sont en cours de transfert et de recrutement sur Paris ; le Directeur du Centre Européen de la Culture prendra ses fonctions dans le courant du mois d’avril ; des financements de recherche ont été attribués à plusieurs laboratoires universitaires à Avignon, Nantes, Paris, Toulouse et Tours dans différents domaines ; Google s’est engagé aux côtés de Silicon Sentier pour lancer le premier accélérateur de jeunes pousses en France, Le Camping.

A l’échelle de Google, ces investissements sont la meilleure réponse à la question sur la contribution locale du groupe. Le développement de la présence de Google en France aura des retombées sur le secteur de l’économie numérique dans son ensemble, et au-delà. 

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En confrontation il y a quelques semaines encore, qu’est-ce qui vous a rapproché subitement d’Hachette en concluant un accord sur la numérisation de livres ?

Le protocole d’accord entre Hachette et Google reflète une vision commune quant à l’opportunité de la numérisation et du développement du livre électronique pour redonner vie à des oeuvres épuisés. Concrètement il fixe les conditions de la numérisation, par Google, des œuvres en langue française dont les droits sont contrôlés par Hachette Livre. Il porte sur les milliers d’œuvres éditées par Hachette et qui ne sont plus aujourd’hui commercialement disponibles. Cet accord ouvre la possibilité de donner une seconde vie aux œuvres épuisées, tant au bénéfice des auteurs que des universitaires, des chercheurs et du grand public en général. 

 "Les internautes ne sont pas captifs, ne sont pas abonnés

à Google avec un engagement de 24 mois ;-)"

Vos concurrents et certains acteurs du Web (Bing, ejustice…) vous accusent d’abus de position dominante. Un compromis sera-t-il possible avec Bruxelles ? Que répondez-vous à vos détracteurs ? Une issue comme avec Hachette est-elle possible ?

L’Autorité de concurrence française a publié récemment un avis sur le marché de la publicité en ligne aux termes duquel elle définit des marchés étroitement segmentés, dont un relatif à la publicité liée aux moteurs de recherche. Sur ce marché, l’Autorité estime que Google dispose d’une position dominante. Cependant l’Autorité souligne que “cette position dominante n’est, bien sûr, pas condamnable en soi : elle résulte d’un formidable effort d’innovation, soutenu par un investissement important et continu.” L’Autorité ne conclut pas à un abus de cette position et n’appelle pas à des mesures réglementaires spécifiques.

Google est né grâce au modèle ouvert de l’internet, il fait partie de l’ADN de l’entreprise. Les concurrents de Google sont à un clic : les internautes ne sont pas captifs, ne sont pas abonnés à Google avec un engagement de 24 mois ;-), quelques lettres tapées dans leur navigateur et ils quittent Google pour un autre moteur ou service en ligne.  L’histoire - pourtant courte - de l’internet a déjà connu la chute rapide d’acteurs qui paraissaient bien établis, et à l’inverse le succès tout aussi rapide d’autres. Nous évoluons dans un univers en mutation. L’accès aux contenus et applications se diversifie bien au-delà des moteurs de recherche : les marchés d’applications sur les smartphones, les recommandations de ses amis sur les réseaux sociaux, …

Ceci étant dit, les équipes de Google travaillent en coopération totale avec les services de la Commission Européenne, comme il en a été avec l’Autorité de Concurrence française, afin de répondre à toutes les questions et les préoccupations. Tandis que Google opère dans le respect strict des règles de concurrence, nous comprenons bien entendu qu’il y a toujours matière à amélioration.

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Quelle réaction vous inspire la décision du juge new-yorkais concernant l’accord entre Google et un groupe d’éditeur américain sur la numérisation d’ouvrages pas encore libre de droit ?

La décision est clairement décevante, mais nous sommes en train de l’analyser en détail et considérer les options possibles. Comme beaucoup d’autres acteurs et internautes, Google a la conviction que cet accord a le potentiel de rendre accessibles des millions de livres qui sont aujourd’hui difficilement trouvables aux Etats-Unis (rappelons en effet que cet accord ne bénéficierait qu’aux internautes des Etats-Unis). Quelle que soit l’issue, nous continuons à travailler à rendre davantage de livres trouvables en ligne à travers Google Livres et dans le futur à travers Google eBooks (distribution de l’accès aux versions électroniques de livres). C’est tout le sens, en France, de nos discussions évoquées précédemment avec les éditeurs français.

Propos recueillis par Pierre Laffon

[1] PriceMinister – La Poste / Baromètre e-commerce des petites entreprises (juin 2010) ; étude Ipsos – Google sur les usages internet des PME (septembre 2010) 

[2] Eurostat – Entreprises having website/homepage (NACE Rev. 2), 2010

Mise à jour le Lundi, 05 Décembre 2011 14:53  

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