Votre récente proposition de « nationaliser » Internet a suscité de vives réactions. Le terme n’est-il pas provocateur ?
Quand j’utilise le terme « nationaliser », je ne pense pas à la mise en place d’une tutelle de l’Etat, à la création d’une police des échanges entre particuliers. C’est à la maîtrise du réseau que je fais allusion. Elle est indispensable pour assurer l’indépendance, la souveraineté et la sécurité nationales.
Dans la configuration actuelle, la sécurité et l’indépendance nationales sont menacées ?
Internet rend d’innombrables services. Mais le réseau offre aussi des possibilités de désinformation et la faculté d’entrer dans des systèmes pour les paralyser. Nos sociétés modernes sont fragilisées par l’existence d’Internet. Nous avons pu constater l’attaque russe sur l’Estonie en avril 2007, ou encore la tentative chinoise de blocage des bases de données du gouvernement allemand deux mois plus tard, alors qu’Angela Merkel effectuait une visite officielle à Pékin. Nos propres ministères ont déjà fait l’objet de multiples attaques. Internet est donc potentiellement une arme. Elle peut être utilisée pour bloquer différentes composantes de nos sociétés, des activités vitales dont les réseaux informatiques pourraient être atteints : le transport d’électricité ou l’organisation du système de santé par exemple…Ce qu’il faut redouter, c’est la faculté de désorganiser un Etat, une société. Comme l’explique le rapport sur les enjeux stratégiques de la prolifération que j’ai cosigné avec Jean-Michel Boucheron, le risque stratégique que représentent les attaques cybernétiques n’est pas tant une attaque massive que des opérations couplées à une action militaire, pour réduire les capacités de réaction de l’adversaire. L’enjeu de la question est bien la sécurité nationale.
Quelle solution préconisez-vous ?
Internet échappe à la souveraineté française car il s’agit bel et bien d’une machine américaine, à travers le contrôle du DNS (Domain Name System) par l’ICANN, société qui n’est rien d’autre que le faux nez de l’administration américaine. Ce DNS est aujourd’hui l’annuaire unique de l’Internet, grâce auquel les Etats-Unis ont la maîtrise et la connaissance de ce gigantesque réseau de communication et d’information. Et ce n’est pas l’entrée d’un diplomate français dans le conseil d’administration de l’ICANN qui change la donne. La mise en place d’une organisation internationale indépendante ne serait pas moins un leurre. Ce qu’il faut, c’est être capable, en cas de besoin, de sécuriser le système. Hors, la maîtrise du DNS est une condition nécessaire pour échapper aux tentatives d’intrusion. La Chine, en décidant de déployer son propre annuaire, a été capable d’isoler et de contrôler son système. Certes, les intentions du régime ne sont pas toutes louables, mais l’exemple montre au moins que c’est techniquement réalisable.
Propos recueillis par Armel Forest